Akbar Khan, survivant de la catastrophe chimique de Bhopal en 1984 atteint de multiples maux, prend un bain de vapeur dans une clinique traditionnelle ayurveda le 1er décembre 2014 (AFP / Indranil Mhukerjee)

Bain de vapeur à Bhopal

Bain de vapeur à Bhopal

BHOPAL (Inde), 2 décembre 2014 – C’est mon deuxième voyage à Bhopal, la « Cité des lacs » du centre de l’Inde, théâtre du pire accident industriel de l’histoire il y a exactement 30 ans.

Je suis déjà venu ici il y a cinq ans, pour le vingt-cinquième anniversaire. Il n’est jamais facile de photographier une tragédie après tant d’années. Il faut essayer de trouver un angle original, une lumière spéciale, pour essayer de traduire au mieux les émotions des survivants. Mais en même temps il convient d’être très sensible à leurs sentiments et à leurs émotions lorsqu’ils se souviennent de cette catastrophe, dans laquelle tous ont perdu une partie de leur vie.

Ce jour-là, j’ai commencé par visiter le site de l’usine de pesticides d’Union Carbide, où une fuite de gaz toxique survenue dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984 avait tué 3.500 personnes en quelques jours, environ 25.000 sur le long terme et entraîné un nombre incalculable de maladies et de malformations à la naissance. Puis j’ai rencontré des survivants de l’accident et des enfants de victimes, qui souffrent de maux en tout genre alors même qu'ils n'étaient pas encore nés en 1984. Je me demande qu’est-ce que je pourrais bien photographier d’autre.

Un enfant né avec des malformations dues à la catastrophe de Bhopal est alimenté dans un centre d'aide aux victimes de la deuxième génération (AFP / Indranil Mukherjee)

C’est alors que j’entends parler de la Sambhavna Trust Medical Clinic où les victimes sont traitées au moyen de l’allopathie, d’exercices respiratoires de yoga et de l’ayurveda, une forme de médecine traditionnelle indienne. Environ 50.000 victimes de la catastrophe de Bhopal viennent périodiquement se faire soigner dans cette clinique, au rythme de 500 à 800 par jour en moyenne.

A l’intérieur de l’établissement, je tombe sur Akbar Khan. Cet homme de 70 ans habite le vieux centre de Bhopal. Le soir de la catastrophe, il dormait dans sa maison avec sa femme, ses enfants et d’autres membres de sa famille. Depuis trente ans, il souffre de complications respiratoires aiguës, de problèmes cardiaques, de crampes violentes et de douleurs aux articulations.

Le spécialiste du panchakarma –un processus de purification utilisé dans l’ayurveda– commence par lui prodiguer un massage aux huiles médicinales. Puis le patient s’enferme dans un caisson pour prendre un bain de vapeur.

Deux survivants de la catastrophe de Bhopal sont soignés dans une clinique traditionnelle ayurveda, le 1er décembre 2014 (AFP / Indranil Mukherjee)

Il s’agit d’un placard avec un trou percé sur le sommet pour que le malade puisse passer la tête. Un tuyau relié à une marmite d’eau qui bout sur une cuisinière permet de remplir le caisson de vapeur. Ce système est utilisé dans l’ayurveda comme technique de détoxification. Le patient reste généralement dedans entre huit et dix minutes, en fonction de sa capacité de résistance à la chaleur. La tête barbue d’Akbar Khan les yeux fermés, qui semble posée sur le sommet du caisson, donne une photo vraiment poignante.

Les histoires d’horreur, de douleur et de désespoir que racontent les victimes de Bhopal sont toujours éprouvantes à écouter, à tel point que je suis parfois content d’interposer un appareil photo entre mes sujets et moi. Cela crée une sorte de barrière qui empêche les émotions de prendre le dessus sur ma concentration professionnelle. Mais les gens racontent aussi des histoires d’espoir, comment toute la ville s’est mobilisée pour aider ceux qui souffraient.

Ce soir-là, un médecin de garde me raconte qu’une pensée continue de le hanter trente ans plus tard : tant de vies auraient pu être sauvées si nous avions seulement, ce soir-là, connu un antidote…

Indranil Mukherjee est un photographe de l’AFP basé à Bombay.

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Indranil Mukherjee