Aux Philippines, un bébé nommé Espoir

(AFP / Jason Gutierrez)

TACLOBAN (Philippines), 12 nov. 2013 – Il m’est impossible de ne pas être touché au plus profond de moi-même devant ces jeunes parents, tout fiers en regardant leur nouveau-né enveloppé dans un linge sale. Ils me proposent de prendre la petite dans mes bras, mais je refuse : je viens de passer de longues heures à errer parmi les morts, mon corps porte certainement toutes sortes de bactéries nocives. L’environnement où est né ce bébé est déjà propice aux infections, les antibiotiques manquent, et je ne tiens pas à ajouter une nouvelle source de danger.

Quand vous couvrez un désastre majeur, il survient toujours un événement, même symbolique, qui justifie tout à coup tout le travail que vous êtes en train de fournir, tous les efforts accomplis dans des conditions extrêmes. L’histoire d’Emily Sagalis, 21 ans, et de son mari Jobert est de ces événements-là. Une histoire qui illustre l’endurance du peuple philippin, cet instinct de résistance à la fatalité qui, souvent, leur permet de survivre quand ils auraient dû mourir.

Tacloban, aux Philippines, trois jours après le passage du super-typhon Haiyan (AFP / Noel Celis)

Je suis tombé par hasard sur cette famille à l'aéroport de Tacloban. Plus de dix mille personnes, dont de nombreux parents et amis du jeune couple, ont péri dans cette seule ville lorsque le super-typhon Haiyan a tout détruit sur son passage, le vendredi 8 novembre. Les gens ici sont habitués aux tempêtes et, malgré les avertissements selon lesquels Haiyan serait le pire cyclone à toucher terre dans l’histoire, beaucoup se sont contentés de se calfeutrer et d’attendre. Mais personne ne pouvait imaginer la violence avec laquelle la nature, cette fois, allait se déchaîner : en quelques minutes, des quartiers entiers ont été rayés de la carte, des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été emportés par les flots. Des survivants m’ont raconté comment les cris d’horreur s’éteignaient au milieu des vents hurlants.

Pour Emily Sagalis, qui était sur le point d’accoucher, ce qui aurait dû être un moment de réjouissances a viré au cauchemar. La maison familiale est emportée par les vagues géantes pendant la nuit. Emily voit sa mère disparaître en criant dans les tourbillons. Par miracle, le couple finit par se retrouver. Emily et Jobert restent dans l’eau pendant des heures en s'accrochant à des objets qui flottent. Puis, lorsque les flots finissent par se retirer, ils parviennent à se réfugier dans l’école communale. Avec plusieurs dizaines d’autres rescapés, ils survivent pendant trois jours en consommant des bouteilles d’eau minérales découvertes parmi les décombres et les cadavres.

Emily Sagalis peu après son accouchement dans un hôpital improvisé sur l'aéroport de Tacloban, le 11 novembre 2013

(AFP / Jason Gutierrez)

Le lundi 11 novembre à l’aube, alors que le cataclysme subi par les Philippines fait la une des médias du monde entier, le travail commence pour Emily. Le couple se met péniblement en marche sur des routes boueuses et jonchées de débris et de cadavres pour essayer de gagner l’aéroport de Tacloban, où l’armée a improvisé un hôpital de campagne dans un bâtiment en ruines. C’est le seul "poste médical" à des kilomètres à la ronde. Un homme qui sillonne la ville en camion à la recherche de sa famille disparue les prend à son bord. Emily a déjà perdu les eaux lorsqu'elle arrive enfin à l'hôpital. Elle accouche sur le sol, assistée par un médecin militaire.

« Elle est mon miracle. Quand les vagues nous ont emportés, je pensais que j’allais mourir avant de la mettre au monde », me raconte Emily, alors qu’elle git sur le sol jonché de détritus et maculé de sang. Jobert, les yeux humides, lui tient tendrement la main.

Emily a appelé sa petite fille Bea Joy à la mémoire de sa mère, Beatriz. Pour ma part, je l’ai surnommée « Espoir ».

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Jason Gutierrez est journaliste au bureau de l'AFP à Manille.