Coucher de soleil à Hong Kong en août 2012 (AFP / Philippe Lopez)

Mon adieu à l'Asie

HONG KONG, 8 nov. 2013 (AFP) – Ceci est mon adieu à l’Asie. Bientôt, je m’envolerai pour Washington après six ans à Hong Kong. Six ans en tant qu’éditeur au quartier général de l’AFP pour l’Asie-Pacifique.

Six ans au cours desquels un grand nombre d’événements d’importance planétaire ont éclaté dans cet immense secteur qui s’étend de l’Afghanistan à la Nouvelle-Zélande. Il y a eu l’assassinat de Benazir Bhutto au Pakistan, le gigantesque séisme au Sichuan, le tsunami dans le nord du Japon et la catastrophe de Fukushima, la guerre en Afghanistan, la mort du leader nord-coréen Kim Jong-il et l’élimination d’Oussama Ben Laden par les forces spéciales américaines… Je suis bien sûr incapable de me souvenir des centaines d’autres histoires majeures que j’ai éditées pendant ces quelques années.

Editeur… Ce n’est pas la forme de journalisme qui fait le plus rêver. Mon travail consiste essentiellement à relire et, souvent, à remanier les textes écrits par les autres, les reporters sur le terrain ou dans nos nombreux bureaux asiatiques, pour les livrer aux clients de l’AFP. Je passe l’essentiel de mon temps dans un bureau, tout en haut d’un gratte-ciel du quartier de Wanchai, devant ce qu’on appelle le « slot »: le terminal informatique sur lequel arrivent toutes les dépêches envoyées par les bureaux de l’AFP sur le continent. Un travail sédentaire, et pourtant loin d’être exempt d’émotions, de poussées d’adrénaline, de moments d’une force extrême.

Cérémonie de clôture des jeux Olympiques de Pékin le 24 août 2008 (AFP / Franck Fife)

Si je ne devais retenir qu’un seul de ces moment sur ces six ans, ce serait celui du tremblement de terre et du tsunami au Japon, le 11 mars 2011.

Une journée qui avait commencé très calmement. Je suis sur le point de terminer mon service quand notre bureau de Tokyo envoie une «alerte» -une information urgente qui tient sur une ligne- annonçant que la capitale japonaise venait d’être secouée par un violent séisme. Le Japon éprouve des milliers de tremblements de terre chaque année et la plupart sont sans conséquences. Sur le moment, l’information ne me semble pas extraordinaire.

Mais très vite, tous les téléphones se mettent à sonner, une deuxième alerte annonce que des incendies se sont déclarés à Tokyo… On connaît la suite: un gigantesque raz-de-marée qui dévaste une grande partie de la côte nord-est du Japon et fait 19.000 morts, le plus grave accident nucléaire depuis Tchernobyl, des milliers de familles brisées, de drames individuels…

Le tsunami s'abat sur la ville de Sendai, dans le nord-est du Japon, le 11 mars 2011 (AFP / Jiji Press / Hiroshi Kawahara)

On dit souvent que les journalistes, à force de raconter des histoires de mort et de destruction, deviennent blasés. C’est faux. Si, quand quelque chose d’aussi énorme se produit, vous ne ressentez pas jusqu’au fond de vos tripes la responsabilité de la faire connaître au monde entier, c’est que vous vous êtes trompé de métier. A plusieurs reprises, je surprends mes mains en train de trembler. Poussée d’adrénaline du journaliste face à un événement gigantesque. Mais aussi, et surtout, sentiment d’horreur indicible et croissant face à la tragédie qui frappe le Japon, un pays que j’ai visité à de nombreuses reprises et que j’adore.

Je me souviendrai toute ma vie du moment précis où j’ai, enfin, réalisé toute la dimension du cataclysme. Beaucoup d’autres gens sont d’ailleurs certainement dans mon cas au même moment, à travers la planète: c’est quand les écrans de télévision, branchés en permanence sur la NHK, la télévision publique japonaise, ont commencé à diffuser des images aériennes de la monstrueuse vague avançant sur la terre ferme et emportant tout sur son passage, maisons et voitures comprises, comme s’il s’agissait de vulgaires jouets en plastique. Nous nous sommes tous levés de nos chaises et avons regardé bouche-bée, horrifiés. Je me rappelle d’avoir pensé : « mais il y a des gens dans ces maisons ! »

Dans la ville de Watari, dévastée par le tsunami dans le nord-est du Japon, le 14 mars 2011 (AFP / Jiji Press)

J’étais censé rentrer chez moi un quart d’heure plus tard. Je ne le ferai qu’au bout de cinq heures. J’ai l’impression un peu bizarre que cette histoire « m’appartient »: c’est moi qui ai édité la première « alerte », qui ai annoncé au monde entier ce qui venait de se produire. Je ressens le désir absurde de continuer sans relâche à couvrir cet événement jusqu’à sa conclusion... Mon rédacteur en chef finit par me chasser du bureau et m’ordonne de prendre du repos. Les journées suivantes risquent d’être longues.

Mais de ces six ans d’Asie, je ne garde heureusement pas que le souvenir de catastrophes. L’Asie est souvent décrite comme un continent «en pleine croissance» ou «en plein boom». Je sais désormais à quel point ce cliché est vrai. L’illustration la plus frappante de l’enrichissement à grande vitesse du continent est certainement celle du sport.

Quand je suis arrivé à Hong Kong, en 2007, l’AFP ne couvrait grosso modo en Asie que des matches de cricket ou des tournois de golf ou de tennis régionaux. A l’heure où je quitte le continent, tous les sportifs de haut niveau se précipitent vers l’Asie. Fin octobre, tous les yeux du monde de la Formule 1 étaient fixés sur l’Allemand Sebastian Vettel qui était venu à New Delhi remporter son quatrième titre de champion du monde. Six ans plus tôt, l’Inde ne comptait pas un seul circuit de F1.

L'Allemand Sebastian Vettel célèbre sa victoire dans le Grand Prix d'Inde le 27 octobre 2013 (AFP / Indranil Mukherjee)