Un poste-frontière désaffecté entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, près de Newry, Irlande du Nord, le 14 novembre 2018. (AFP / Paul Faith)

Aux frontières du Brexit

A la frontière irlandaise -- La paix est arrivée en Irlande du Nord quand j’avais seulement sept ans. Je n’ai aucun souvenir des terribles violences qui ont marqué la vie dans la province britannique pendant trois décennies.

Vingt-ans plus tard, j’ai passé une semaine à voyager le long des 500 kilomètres de la frontière avec la République d’Irlande, pour écouter ceux qui craignent que le Brexit ramène des jours difficiles.

Ce que j’ai trouvé dans cette zone de contact c’est une communauté à la fois étonnamment résiliente et en même temps particulièrement vulnérable à la menace d’un bouleversement imminent.

Mon reportage a commencé, en compagnie du JRI Will Edwards, depuis mon domicile à Dublin en direction du nord, à la frontière avec Newry.

L’armée britannique avait l’habitude d’appeler cette campagne vallonnée le « pays des bandits », à cause des tirs de snipers et des attaques à la bombe dont ils étaient la cible.

Un habitant du coin m’a raconté que les soldats avaient collé des noms de régions de l’Ouest américain sur ceux des contés. 

Vue aérienne du chemin de la montagne de Culicagh, qui suit la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, le 22 février 2019, à Florencourt, Irlande du Nord. (Getty Images/AFP / Charles Mcquillan)

Dans une ferme traversée par la frontière, à South Armagh, nous sommes tombés sur un panneau avertissant que : « La communauté s’occupera des voleurs et des voyous ». C’est le genre de chose qu’il serait difficile de trouver ailleurs au Royaume-Uni.

Il y a quelques semaines à Dublin, un ancien soldat irlandais m’a affirmé que les locaux étaient convaincus que l’armée britannique, après avoir démantelé ses tours de guet qui surveillaient les communautés vivant à la frontière, avait installé des caméras dans les collines.

Cela m’a paru très improbable, mais une preuve de plus du traumatisme qui perdure dans une région qui était autrefois sous surveillance constante.

Je me suis souvenu ensuite d’un article qui affirmait que l’Irlande du Nord enregistre le taux de stress post-traumatique le plus élevé au monde. 

Une d'un quotidien local, The Northern Standard, dans une édition de mai 1974 relatant les suites des attentats meurtriers du 17 mai à Dublin et Monaghan, photographiée à Monaghan le 5 mars 2019. (AFP / Paul Faith)

Partout dans la région, les histoires que vous entendez mêlent stoïcisme et humour noir, avec une bonne dose d’euphémisme.

Après avoir interrogé un homme, cible de deux tentatives d’assassinat, sur ce qu’était la période des « Troubles », il a finalement lâché : « C’était parfois un peu embêtant ».

Quand j’ai demandé aux habitants comment ils réagiraient à un rétablissement des contrôles frontaliers, certains ont jugé une telle perspective improbable, d’autres ont estimé qu’ils s’en accommoderaient au jour le jour, comme avant.

La ville de Monaghan, en République d'Irlande, le 5 mars 2019. (AFP / Paul Faith)

L’accord du Vendredi Saint en 1998 a transformé la frontière en une étrange zone grise, bien présente sur les cartes mais invisible à l’œil nu.

Il n’y a qu’un léger renflement de la chaussée et le passage de panneaux de limitation de vitesse de miles en km/h pour indiquer au voyageur qu’il a changé de pays.

Au cours de nos reportages sur place, nous avons fréquemment vérifié en ligne l’endroit où se situait vraiment la frontière.

Le membre d'une association opposée au Brexit, déguisé en soldat de l'armée britannique, pose dans une guérite factice installée à la frontière entre les deux Irlande pendant une manifestation à Newry, le 26 janvier 2019. (AFP / Paul Faith)

Ma propre histoire est maintenant liée à cette séparation floue entre le Royaume-Uni et la République d’Irlande.

Le mois dernier j’ai déposé une demande pour obtenir la nationalité irlandaise. En tant que citoyen britannique avec des grands-parents irlandais je suis en droit de recevoir un passeport qui me permettra de rester un citoyen européen après le Brexit.

Mon tour est maintenant venu d’essayer de trouver ma place dans cet espace qui recouvre deux territoires distincts.   

 

Joe Stenson