Un show à l'américaine
Paris -- Ils sont agaçants (et doués) les photographes. Parfois, il leur suffit d’une image pour illustrer ce qu’on s’est échiné à raconter à longueur de papiers.
Le cliché en question date du 28 juin, au Parc des Princes. Franck Fife, affublé de l’affreux dossard vert “Photo 043” que lui a attribué la Fifa, dit qu’il a eu “de la chance”, que la scène s’est passée juste devant lui, qu’il était “au bon endroit au bon moment”. Ça lui arrive souvent… Il devrait jouer plus souvent au loto ou être moins modeste.
L’attaquante Megan Rapinoe vient d’ouvrir le score contre la France en quart de finale de la Coupe du monde. Elle court vers l’angle du terrain, lève les bras au ciel dans un salut tout théâtral. Sourire de cire et menton légèrement dressé, narquois, comme un air de défi.
La photo fait le tour des réseaux sociaux, détournée à l’envi dans une série de montages. Rapinoe s’invite dans le film Gladiator, se hisse sur un dragon de la princesse Daenerys Targaryen, personnage central de la série Game Of Thrones. Et on l’oppose bien sûr à Donald Trump, contre qui elle a pris position publiquement.
Car Rapinoe a transformé ce Mondial en tribune politique. Le président américain “ne se bat pas pour les mêmes choses que nous”, lance celle qui se revendique comme une “ambassadrice LGBT”, combat les discriminations et refuse de chanter l’hymne national pour dénoncer les violences policières contre les Noirs.
Quelques jours plus tôt, elle avait annoncé qu’elle boycotterait toute invitation à la “p… de Maison Blanche” en cas de titre.
Une prise de position déroutante pour les journalistes sportifs français habitués à la parole archi-contrôlée des Bleu(e)s de Corinne Diacre comme de Didier Deschamps. En février 2017, la presse avait fait ses choux gras de la discrète apparition d'un joueur - Yohan Cabaye - à un meeting d’Emmanuel Macron. Incroyable !
Avant la finale de Lyon, quand Rapinoe, lunettes noires et cheveux roses, descend du car de son équipe, elle transforme un simple point presse, à moitié improvisé, en discours sur l’état de l’Union.
La buteuse de 34 ans revient aux pères fondateurs et à la naissance des Etats-Unis. "Je pense que ce pays a été fondé sur beaucoup de grands idéaux, mais il a aussi été fondé sur l'esclavage. Nous devons être vraiment honnêtes à ce sujet et en parler ouvertement, afin que nous puissions nous réconcilier et aller de l'avant".
Puis elle s’en prend à la Fifa qui “manque de respect” au foot féminin, aurait pu s’abstenir d’organiser “trois finales” le même jour (Mondial dames, Gold Cup et Copa America messieurs) et devrait “quadrupler” la dotation (le "prize-money" attribué aux équipes) du Mondial-2023.
On pourrait croire alors que la co-capitaine de son équipe, s’est transformée en inaccessible star médiatique. Paf ! On la croise tout sourire au bar de l’hôtel Lyon Métropole, pendant que ses coéquipières sortent de la piscine en peignoirs, hilares.
Le contraste avec les Bleues est saisissant. Les croiser à leur hôtel ? N’y pensez même pas.
Les conférences de presse françaises s’enchaînent et se ressemblent. Les journalistes en sortent la plupart du temps en soupirant.
Quelques rares interventions font souffler un vent d’air frais, comme quand l’entraîneur adjoint Philippe Joly se charge de dire tout haut ce que la sélectionneuse Corinne Diacre ne dit jamais (sur l’importance du match contre les Etats-Unis…) ou la remplaçante Maëva Clémaron évoque brièvement sa double-vie de joueuse de foot et d’architecte.
L’ambiance était plus détendue avant le tournoi, pendant la préparation à Clairefontaine, quand trois ou quatre journalistes se retrouvaient en souriant dans le vaste auditorium Fernand Sastre, complètement vide.
Mais les normes Fifa et la pression d’un Mondial à domicile sont passées par là.
Le spectacle américain est d’autant plus appréciable. Car il n’y a pas que Rapinoe, même si elle prend beaucoup la lumière.
Les conférences de presse se font souvent en riant, la reconnaissance des stades - un drôle de rituel qui consiste à fouler la pelouse et regarder à quoi ressemblent les tribunes à 48 (ou 24) heures d’un match - a lieu pieds nus ou en esquissant quelques pas de danse…
A Lyon, au Printemps, un vendeur nous dit que les joueuses américaines sont passées la veille faire quelques emplettes chez Dior et Prada.
Vient l’heure de la finale. Plus forte que toutes les autres, la Team USA l’emporte logiquement contre les Pays-Bas (2-0).
Rapinoe, sacrée meilleure buteuse et meilleure joueuse du tournoi, se fait attendre, bloquée par un contrôle anti-dopage.
La sélectionneuse (ou sélectionneure, ce débat lexical a longtemps agité la rédaction avant le tournoi, le comité d’organisation du Mondial s’est aussi emparé du sujet mais n’a pas tranché entre les deux mots) Jill Ellis reçoit un appel de sa maman pendant qu’elle s’exprime devant la presse.
Megan Rapinoe finit par arriver en levant les bras. Comme sur le terrain un peu plus tôt, elle joue en attaque : "Toutes les joueuses durant ce Mondial ont produit le spectacle le plus incroyable. On ne peut rien faire de plus pour impressionner davantage. Il faut passer à l'étape supérieure. Tout le monde est prêt pour que nous ayons l'égalité salariale”.
A la fin de la finale, pendant que le président de la Fifa Gianni Infantino grimpait sur le podium aux côtés des championnes du monde américaines, certains supporters criaient “Equal Pay, Equal Pay!”.