Un jour ordinaire à Alep
ALEP (Syrie), 1er juillet 2013 – Les combats ont commencé vers trois heures du matin. Un groupe de rebelles a lancé un raid sur un pont construit il y a quelques années pour décongestionner le trafic entre les quartiers de Suleiman al-Halabi et de Sakhour, deux zones d’Alep peuplées par les classes moyennes. Les insurgés ne s’attendaient pas à ce que ce pont soit si bien protégé par les forces gouvernementales et la bataille a été sanglante.
Je suis arrivé sur place vers neuf heures du matin. Les rebelles m’ont ordonné de ne pas prendre de photos. Je couvre les fronts ouest d’Alep depuis le début de la guerre. Il n’existe aucune relation particulière entre les insurgés et moi. Ils se sont simplement habitués à me voir dans les parages. Ils me laissent généralement travailler mais ce jour-là, pour une raison ou pour une autre, ils ne voulaient pas me voir. Je me suis donc réfugié dans un immeuble situé à quelques mètres du pont, d’où j’ai pris ces images.
La tâche n’a pas été facile. Sur la photo en grand angle, on voit un groupe de rebelles fauchés par un sniper ou par des rafales de mitrailleuse. J’ai zoomé sur les deux hommes à gauche. Ils avaient tous deux été touchés aux jambes par un tireur embusqué et saignaient abondamment. Ils allaient survivre. Mais ils allaient devoir attendre une douzaine d’heures pour que leurs camarades, à la faveur de l’obscurité, viennent les secourir tout en faisant feu en direction des snipers au mortier et à la mitrailleuse lourde.
Selon mes informations, la bataille a fait huit morts et quatre blessés et, à l'heure où j'écris, les forces gouvernementales tiennent toujours le pont. En deux ans, je me suis accoutumé à prendre des photos pendant les combats. Ce jour-là, comme d’habitude, je n’avais pas peur, mais j’étais prudent.
Sur cette autre image, on voit les cadavres d'un rebelle et d'un civil. Le civil, en chemise blanche, accourait pour porter secours à son cousin abattu par un sniper lorsqu’il a lui-même été tué par le tireur.
(Abo Al-Nur Sadk est un pseudonyme. Ces images ont été prises le 20 juin mais, en raison de la difficulté de transmettre des photos depuis la Syrie, elles n’ont été diffusées par l’AFP que le 27).