La députée du parti de gauche Podemos Carolina Bescansa et son bébé, pendant la séance inaugurale du Parlement espagnol le 13 janvier 2016 à Madrid (AFP / Pierre-Philippe Marcou)

Un bébé au Parlement

MADRID, 14 janvier 2015 – Pour un photographe, couvrir une séance au parlement n’est pas toujours un travail très excitant: ce sont des heures de discours, et des images qui sortent difficilement de la banalité et de l’institutionnel. Mais il en va autrement quand une députée arrive dans l’hémicycle en poussant un landau, puis passe toute la séance avec son bébé de cinq mois sur les genoux.

Nous sommes le mercredi 13 janvier. C’est la séance inaugurale du Congrès des députés espagnol issu des élections du 20 décembre et de nombreux élus vont faire leurs débuts. Les nouveaux venus sont surtout issus des deux partis qui ont émergé à la faveur de la crise économique: les libéraux de Ciudadanos et les gauchistes radicaux de Podemos. Très vite, on sent que l’assemblée a pris un coup de jeune. Certains députés sont arrivés à vélo. D’autres sont en T-shirt ou coiffés à la rasta.

Une députée du parti Podemos (AFP / Pierre-Philippe Marcou)

Avec d’autres collègues, je suis en train de photographier l’entrée dans la chambre du leader de Podemos, Pablo Iglesias, quand je vois arriver cette femme qui pousse un landau. Il s’agit de la cofondatrice du parti, Carolina Bescansa, mais je ne la reconnais pas du premier coup. La couverture à l’intérieur du landau a l’air complètement aplatie. Au départ, je pense donc que Podemos a voulu organiser une espèce d’acte symbolique et qu’il n’y a pas d’enfant là-dedans. Mais en fait si: à la surprise générale, la députée sort un bébé de la poussette et s’installe avec lui dans l’hémicycle.

(AFP / Pierre-Philippe Marcou)

Evidemment, la scène fait le bonheur des photographes. On savait déjà que les élections de décembre avaient rajeuni le parlement espagnol, mais là ça dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer! Ma première réaction est de prendre des images en gros plan, puis je réalise qu’il s’agit tout de même d’un mineur et que le photographier de trop près n’est peut-être pas une bonne idée. Je commence donc à faire des plans larges, pour montrer le contraste entre l’ambiance feutrée et solennelle du Congrès des députés et ce tout petit garçon dans les bras de sa mère. Je me demande ce qui va se passer s’il se met à hurler en pleine séance. J’ai deux enfants, et je sais que contrôler un nourrisson de cinq mois qui décide tout à coup de donner de la voix relève de l’utopie…

(AFP / Pierre-Philippe Marcou)

En fait, rien de tel ne se produit. La séance dure près de cinq heures, tout au long desquelles l’enfant est sage comme un ange. Je l’adopterais sans hésiter! Pendant les discours, Carolina Bescansa lui donne discrètement le sein sous son châle. Puis elle profite d’une suspension de séance pour s’éclipser avec lui, probablement pour lui changer sa couche. A un moment, Pablo Iglesias prend l’enfant sur ses genoux.

Le leader de Podemos, Pablo Iglesias, tient l'enfant de Carolina Bescansa pendant la séance (AFP / Pierre-Philippe Marcou)

En début de séance, la députée demande aux photographes de flouter le visage du bébé. C’est un peu étonnant, de la part d’une élue qui choisit de montrer son enfant dans le lieu public par excellence qu’est le parlement. Un tel acte n’est évidemment pas neutre : le droit des femmes est au cœur du programme de Podemos, qui demande notamment des garderies gratuites. La conciliation entre vie privée et vie professionnelle est un grand sujet de débat en Espagne, où les journées de travail sont souvent très longues.

(AFP / Pierre-Philippe Marcou)

Carolina Bescansa ne se sépare jamais de son bébé. Pendant la campagne électorale, elle l’a amené à tous les débats et meetings auxquels elle a participé. Son geste rappelle celui de l’ex-eurodéputée italienne Licia Ronzulli, qui amenait régulièrement sa fille au parlement européen pour attirer l’attention sur « toutes ces femmes qui ne peuvent concilier la maternité et le travail ».

L'eurodéputée italienne Licia Ronzulli et sa fille Victoria pendant une séance du Parlement européen à Strasbourg, le 19 novembre 2013 (AFP / Frederick Florin)

La présence du bébé dans l’hémicycle a provoqué une petite polémique en Espagne. Les réseaux sociaux se sont enflammés pour ou contre la députée. Le ministre de l’Intérieur, le conservateur Jorge Fernández Díaz, a estimé que le parlement « n’est pas l’ambiance la plus adaptée pour un enfant » et a fait remarquer qu’il existe « une magnifique garderie » dans le bâtiment. Un photographe avec qui j’ai parlé m’a confié qu’il avait trouvé un peu choquant qu’une élue de gauche se permette d’amener son bébé sur son lieu de travail, alors que lui-même doit payer 200 euros par mois pour la garderie de ses propres enfants. Quant à moi je n’ai pas vraiment d’opinion sur le sujet, mais une chose est sûre : je suis bien content d’avoir pu prendre ces photos qui sortent de l’ordinaire.

Pierre-Philippe Marcou est un photojournaliste de l’AFP basé à Madrid. Cet article a été écrit avec Roland de Courson à Paris.

(AFP / Pierre-Philippe Marcou)