Survivre à la « Silly Season »
LONDRES, 23 août 2013 – L’actualité britannique bouillonne onze mois sur douze. Les parlementaires s’empoignent à Westminster, les banquiers de la City encaissent leurs bonus gigantesques, et les exploits des footballeurs de la Premier League envahissent les journaux de la première à la dernière page.
Et puis, vers la mi-juillet, à peu près au moment où le parlement entame sa pause estivale, le moulin à nouvelles ralentit de façon manifeste. Le Premier ministre David Cameron s’envole pour l’Algarve et enfile son bermuda, beaucoup de tribunaux suspendent les audiences et Wayne Rooney disparaît quelque part en Extrême-Orient pour une série de matches d’exhibition (avant que ses tendons ne recommencent à lui jouer des tours…)
Dans les salles de rédaction s’installe alors une curieuse sensation de vide. Privés de nos sujets de prédilection, nous ne tardons pas à chercher par tous moyens comment combler cet insupportable manque d’informations croustillantes.
Cela s’appelle la «Silly Season», la «Saison idiote». Il semblerait que le terme ait été inventé en 1861 par un hebdomadaire londonien nommé The Saturday Review. Traverser la «Silly Season» consiste à graviter au sein d’une mixture bizarre de sujets loufoques ou d’intérêt douteux qu’il ne nous viendrait même pas à l’idée de traiter le reste de l’année. En la matière, 2013 aura été un excellent millésime.
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Ainsi, j’ai tout de suite senti que cette histoire dégoûtante d’«iceberg de gras» qui menaçait de boucher les égouts londoniens allait faire un tabac. Il s’agissait d’une boule de taille colossale (15 tonnes!) constituée de graisse de cuisson congelée, de lambeaux de papier toilette et d’autres immondices, qui avait été extraite par les services municipaux d’hygiène d’un égout du sud-ouest de la capitale juste avant que ce «fatberg» du calibre d'un autobus n'obstrue le système de canalisations et ne transforme le quartier en étang nauséabond.
Je ne me trompais pas: les médias internationaux se sont jetés sur cette information, depuis la Voice of Russia jusqu’au South China Morning Post de Hong Kong, en passant par The Nation du Pakistan, le Shanghai Daily et le Herald Sun de Melbourne. La gloire. Il faut dire qu'une telle histoire, qui évoque à la fois les excès de la consommation urbaine et un désastre évité de justesse, avait tous les ingrédients du succès.
Ensuite, c’est le maire de Londres, Boris Johnson, qui a attiré mon attention en annonçant fièrement, au cours d’une émission à la radio, que ses services allaient faire cadeau au Royal Baby d’un tricycle dans le même style que les «Boris bikes», surnom des vélos en libre accès londoniens, équivalent des Vélib’ parisiens.
Un appel rapide au service de presse de la mairie m’a permis de vérifier la véracité de l’information et même d’obtenir une photo du véhicule. Encore une histoire qui a bien roulé.
Les pompiers de Londres nous ont, eux aussi, bien aidé à survivre à la «Silly Season». D’abord en mettant sur le compte de «Cinquante nuances de Grey», le célèbre best-seller sado-maso soft, une hausse spectaculaire du nombre d’appels de détresse de gens incapables de se défaire de leurs menottes. Ensuite, en annonçant qu’ils avaient secouru un homme au pénis coincé dans un grille-pain.
En France, le site d'information Rue89 a institué un «jour le plus chiant» de l'année, au cours duquel l'actualité estivale est censée battre des records de mollesse. Dans d'autres pays européens, cette période de l’été est surnommée «la saison des concombres». On parle de «komkommertidj» aux Pays-Bas, d’«agurktid » en Norvège. Je crois que le terme était également utilisé en Grande-Bretagne au début du 19ème siècle. Il se référait à la saison morte pour les tailleurs londoniens, quand la bourgeoisie quittait la ville pour l’été et qu’il était possible, pour les tailleurs susnommés, de s'introduire dans les potagers des gens riches et de s’emparer des cucurbitacées délaissées.
Même si bon nombre de journaux britanniques n’hésiteraient pas une minute à accorder les honneurs de la une à un concombre vainqueur d’un prix agricole, leur préférence va généralement aux histoires de «big cats», ou «gros chats»: un félin surdimensionné aperçu dans la campagne anglaise par des promeneurs, lesquels brandissent en général une photo floue du fauve présumé pour donner plus de poids à leur témoignage.
Le «gros chat» de l’an dernier avait été baptisé «Le lion de l’Essex». Il avait été pris en photo dans un champ près du petit village de St Osyth, à l’est de Londres. Des policiers armés et un hélicoptère avaient participé à la battue pour le capturer, en vain. Le soi-disant lion n’avait jamais été retrouvé. Par la suite, certains journalistes avaient fait le rapprochement avec un gros raton laveur domestique appelé « Teddy Bear », qui se promenait dans les parages vers la même époque. Mais ceux qui avaient vu le «lion» en premier avaient réfuté cette hypothèse avec la plus grande vigueur.
Malheureusement, l’AFP n’a eu aucun «big cat» à se mettre sous la dent cette année. Mais la «Silly Season» ne s’achève officiellement que le 2 septembre, quand redémarre la vie politique. Il est donc encore permis d’espérer.
Nick Morrison est journaliste au sein de l'équipe web et mobiles de l'AFP à Londres.