Surfeurs de rivière
MINSTERWORTH (Royaume-Uni), 24 mars 2015 – Bien avant l’arrivée de la vague, les surfeurs sont déjà prêts. Ils s’échauffent et s’étirent sur la plage de galets. La rivière Severn, à la frontière entre le Pays de Galles et l’Angleterre, est mondialement réputée pour son mascaret, un phénomène rare et spectaculaire qui se produit quand la marée montante forme une vague qui remonte le courant sur plusieurs dizaines de kilomètres. Et c’est cette vague que nos surfeurs sont venus «affronter».
Ce samedi 21 mars, je pars couvrir ce qui s’annonce comme un « mascaret cinq étoiles » : le rare alignement de la terre, de la lune et du soleil au moment-même de l’équinoxe de printemps va exercer une force de gravité exceptionnelle. Ce phénomène va augmenter l’intensité des « grandes marées » que l’on observe déjà habituellement à pareille époque.
Le mascaret de la rivière Severn commence près du village de Newnham, à une trentaine de kilomètres de l’embouchure. Nous sommes dans une contrée rurale du Gloucestershire pleine de petits villages au charme désuet. Je débarque sur place à six heures et demie du matin, une heure avant l’arrivée prévue de la vague. Il fait frisquet : le mercure dépasse à peine six degrés.
On m’a dit que le meilleur endroit depuis lequel photographier le mascaret, c’est l’église. Mais alors que je viens de garer ma voiture, un jovial villageois qui promène son chien devine sans peine le but de ma présence et m’aborde de but en blanc : le meilleur endroit pour observer le mascaret, ce n’est pas l’église, assure-t-il. C'est sa maison. Est-ce que ça me dirait de venir chez lui ?
Souvent, en reportage, les bonnes choses se goupillent comme ça, par hasard. D'instinct, j’accepte la proposition. Et je ne le regrette pas : mon bienfaiteur inattendu m’emmène dans une grande et belle maison qui offre une vue plongeante sur un coude de la rivière. L’emplacement parfait !
Une soixantaine de surfeurs sont déjà sur place. Ils s’étirent dans leurs combinaisons imperméables en attendant LA vague. Mais le moment crucial venu, seuls une vingtaine d’entre eux parviennent à la saisir, cette vague. Les autres se retrouvent piteusement le bec dans l’eau en moins de temps qu'il n'en faut pour dire plouf...
Après quoi, je saute dans ma voiture pour me rendre au prochain spot de surfeurs, à une dizaine de kilomètres en amont. Il s’agit d’un endroit appelé Minsterworth où la rivière Severn est beaucoup plus étroite. Je n’ai pas besoin de me précipiter : le mascaret se déplaçant à la vitesse de dix kilomètres/heure, j’ai une bonne heure devant moi pour effectuer ce tout petit trajet !
A Minsterworth, tout le monde s’est massé devant un pub nommé The Severn Bore pour voir passer la vague. Mais une fois encore, un vieil homme m’aborde et me propose de venir plutôt prendre mes photos depuis ce qu’il assure être le meilleur emplacement du village : son jardin.
C’est mon jour de chance. J’accepte avec reconnaissance cette nouvelle proposition spontanée. Je ne suis pas le seul invité : plusieurs caméras de télévision sont déjà en place dans le jardin de mon hôte. L’emplacement est un peu lointain –il me faut employer un téléobjectif de 400 millimètres- mais la vue est quand même excellente.
C’est alors que je vois ces cinq types arriver au tournant de la rivière sur leurs planches. J’ai à peine le temps de prendre la photo ci-dessous que quatre d’entre eux sont déjà tombés dans l’eau. Le dernier arrive à chevaucher le mascaret sur environ deux cents mètres avant de se casser la figure à son tour. Le vieil homme qui nous a invités est ravi : selon lui, c’est le plus beau mascaret qu’il ait vu depuis dix ans !
J’aime photographier les phénomènes naturels. Cette discipline ne tolère aucun artifice: soit on réussit à prendre la photo, soit on la rate. Avec douze mètres de marnage, les marées dans l’estuaire de la Severn sont parmi les plus hautes du monde. Le mascaret, ici, se forme environ huit fois par an. J’avais toujours eu envie d’assister à ce phénomène mais je n’en avais encore jamais eu l’occasion. C’était donc très excitant de voir la vague se former mais je dois admettre que ce qui m’a le plus amusé, c’est de voir tous ces surfeurs s’échauffer, s’étirer et discuter très sérieusement dans leurs combinaisons, puis se faire renverser par la petite vague en une fraction de seconde !
Geoff Caddick est un photographe indépendant basé dans le sud du Pays de Galles. Consultez son site internet personnel.