Retour à Kobané
KOBANE (Syrie), 27 mars 2015 – Je me suis rendu à Kobané la veille de Newroz, le Nouvel an kurde, et je suis resté sur place une semaine pour photographier les gens qui revenaient chez eux, deux mois après la reconquête par les combattants kurdes de la ville tenue par le groupe Etat islamique.
La dernière fois que je suis venu ici, c’était juste après le départ des jihadistes. La ville était jonchée de cadavres et de carcasses de voitures calcinées. Maintenant, même si la bataille fait encore rage à moins de trente kilomètres, il n’y a plus de forces combattantes à Kobané. On ne ressent plus, dans la ville, les effets de la violence qui reste pourtant toute proche.
Depuis deux mois, la vie reprend timidement ses droits parmi les ruines. Près de 80% de la ville a été détruite mais on voit, ça et là, des gens se rassembler autour d’un feu. Ils discutent de la reconstruction de leurs maisons, essayent de commencer à remettre les choses en ordre tous seuls.
Quelques magasins ont déjà rouvert, même si peu de gens ont de l’argent à dépenser. On croise encore de temps en temps des hommes fusil en bandoulière, même si les Unités de protection du peuple (YPG), les forces kurdes qui tiennent Kobané, n’autorisent officiellement personne d’autre qu’elles à se promener dans la ville en armes ou en tenue militaire.
A l’entrée est de la ville, dans une des rues où les combats ont été particulièrement destructeurs, on peut voir les restes d’un panneau qui proclamait autrefois : « Bienvenue à Kobané ».
Environ 5.000 personnes sont revenues chez elles depuis que l’Etat islamique a été chassé de la ville. La plupart de ceux que je rencontre se disent profondément malheureux. Ils ont perdu leurs proches, ou leurs maisons, souvent les deux. Je vois une famille qui transporte ses effets personnels à l’arrière d’un camion. Une autre est en train d’extraire un tapis d’une maison endommagée.
Beaucoup d’habitants de Kobané ne veulent pas revenir avant que leurs maisons aient été réparées. Ils continuent à vivre dans les camps de réfugiés aux alentours, notamment celui de Suruc, dans la Turquie voisine.
Je visite une école, partiellement détruite, où étudient quelque 200 élèves répartis en cinq classes. Maintenant, les cours sont en kurde, alors qu’auparavant ils n’étaient dispensés qu’en arabe.
Dans la rue, les enfants s’occupent comme ils peuvent. Certains se balancent sur un câble électrique : un jeu sans danger, vu que la ville n’est plus approvisionnée en électricité. Les gens utilisent des générateurs de courant, mais ces derniers sont rares et le carburant pour les faire fonctionner aussi. Pour combattre le froid, cuisiner et faire chauffer de l’eau pour se laver, il ne reste bien souvent que le feu de bois.
C’est la quatrième fois que je vais à Kobané. Depuis septembre 2014, j’ai assisté depuis le côté turc de la frontière à la tragédie qui a frappé la ville. J’ai vu les gens souffrir, dans la poussière et la saleté des camps de déplacés puis de la ville à peine reconquise.
Alors, je suis particulièrement heureux de pouvoir réaliser cette série de portraits de femmes de Kobané qui portent leurs plus beaux habits pour Newroz. Je vois en elles un message symbolique d’optimisme, comme le jaune, le vert et le rouge du drapeau kurde.
Yasin Akgül est un photojournaliste indépendant basé en Turquie.