Soldats morts dans la neige
SAVOUR-MOGYLA (Ukraine), 11 décembre 2014 – Il règne un froid mordant au sommet de cette colline. Un vent glacial soulève une fine poussière blanche.
Nous sommes ici pour voir une icône religieuse orthodoxe, qui a été amenée à l’occasion d’une journée du souvenir en l’honneur des rebelles pro-russes tués au combat dans cette région de l’est de l’Ukraine. Une soixantaine de personnes –des proches des disparus accompagnés d’une vingtaine de combattants séparatistes– sont montées jusqu’ici pour vénérer l’icône et rendre hommage à leurs morts.
La cérémonie se déroule au sein du mémorial de Savour-Mogyla, bâti près de Donetsk en l’honneur des milliers de soldats soviétiques tués en défendant cette colline stratégique pendant la Seconde guerre mondiale. C’est un complexe immense, dantesque, qui s’étend sur tout un versant de la colline à quelques kilomètres de la frontière russe. Le mémorial a été en partie détruit lors de combats entre les troupes gouvernementales ukrainiennes et les séparatistes en juillet et en août derniers. La colline a changé de mains plusieurs fois.
Les monuments qui tiennent encore debout sont criblés d’impacts de balles. Trois énormes blocs d’acier figurant des visages géants de soldats, désormais constellés de trous couleur rouille, qui regardent vers le lointain dans le paysage couvert de neige.
Au sommet de la colline trônait autrefois un obélisque de trente mètres de haut, au sommet duquel était perché un soldat de l’Armée rouge brandissant son fusil au-dessus de sa tête. Il a été pulvérisé pendant les batailles successives.
Tout le complexe est jonché d’éclats d’obus, de morceaux de ferraille tordus. L’endroit inspire des sensations contradictoires de beauté, de nostalgie et de désolation absolue. Il témoigne de la violence des combats entre les deux camps.
Plusieurs centaines de mètres plus bas, au pied du complexe monumental construit dans les années 1960, des fresques dépeignent la série de longues et sanglantes batailles à l’issue de laquelle l’armée soviétique avait repris la colline à la Wehrmacht en août 1943. Les noms des milliers de soldats tombés au champ d’honneur sont inscrits à côté.
Les séparatistes pro-russes sont mus par une profonde nostalgie de l’ère communiste. Ce mémorial occupe une place symbolique très puissante dans leur mémoire collective. Il renforce aussi leur conviction de lutter contre des « envahisseurs fascistes » venus de Kiev. Plusieurs combattants rebelles tués ces derniers mois ont été enterrés en son sein.
Pour la cérémonie, un trou a été creusé en bas de la colline. Une vieille lampe de mineur contenant des papiers appartenant aux défunts y est enterrée, puis les combattants séparatistes tirent une salve d’honneur. La cérémonie dure plusieurs heures. Les participants attendent patiemment, sous les rafales de vent et de neige, le moment de s’agenouiller devant l’icône de Notre-Dame de Tikhvine, amenée depuis Moscou pour la journée.
Cette relique orthodoxe russe a une histoire extraordinaire. Il en existe plusieurs versions, la plus ancienne datant de 1383. Celle que nous avons sous les yeux date de 1803. On raconte qu’elle était présente lors de la bataille de Borodino contre les troupes de Napoléon en 1812. Puis, en 1941, elle a été transférée à Moscou pour protéger la ville contre l’invasion nazie. De nos jours, l’icône est transportée de site en site pour encourager les soldats pro-russes dans leur combat contre les troupes ukrainiennes pro-occidentales.
Eric Feferberg est un photographe de l’AFP basé à Paris. Il s’est rendu dans l’est de l’Ukraine pendant trois semaines, en novembre et décembre 2014.