Quelqu'un nous écoute ?

(AFP/ Mauro Pimentel)

Rio de Janeiro - L’astre solaire enveloppé d’un halo rouge me revient en mémoire, alors que je découvre les résultats du test Covid. Négatif. Soupir de soulagement. Pour la première fois en dix jours je vais pouvoir courir embrasser mon fils et ma compagne sans crainte d’avoir fait entrer dans  notre foyer ce virus qui continue à faucher tant de vies au Brésil. Me voilà juste rentré du Pantanal brésilien.

Moins connue à l’étranger que l’Amazonie, c’est une vaste plaine qui s’étend sur environ 225.000 kilomètres carrés, dont près des deux tiers sont au Brésil, le reste en Bolivie et au Paraguay. Une partie de la région figure sur la liste des réserves de biosphère de l’Unesco, sanctuaire d’une faune sauvage extrêmement riche, dont de magnifiques jaguars. C'est aussi la plus grande zone humide de la planète, dévastée ces dernières semaines de terribles incendies.

 

Des "cowboys" du Pantanal brésilien et leurs buffles, le 19 septembre 2020.. (AFP/ Mauro Pimentel)
Roberto Carvalho, guide touristique de 50 ans, à la recherche d'un jaguar blessé dans le Pantanal brésilien le 13 de septembre 2020. (AFP / Mauro Pimentel)

 

J’écris ces lignes depuis Rio de Janeiro alors qu’une pluie violente s’abat sur la ville. A la télévision, les images de rues inondées, de personnes fuyant leurs voitures coincées dans l’eau, se succèdent. Le journal télévisé évoque des risques de glissement de terrain dans les favelas,  accrochées pour la plupart à des flancs de colline.  

A des milliers de kilomètres de là, le propriétaire d’une auberge du Pantanal m'écrit par Whatsapp et se plaint de la sécheresse, et des rares gouttes de pluie qui n’arrivent plus à éteindre l’incendie. Le feu, lové sous la végétation épaisse, avance cruellement. 

Je suis photoreporter. Né et élevé  à Rio, bien loin des réalités de la Transpantaneira, cette route de terre qui traverse le Pantanal, dans l’Etat de Mato Grosso. Le long des 150 kms qui relient la ville de Poconé au district de Porto Jôfre, il n’y a ni électricité, ni lignes téléphoniques, et encore moins internet. Aucun endroit non plus pour se réfugier. Derrière mon volant, j’ai parcouru de nombreuses fois cette route, pendant plusieurs jours, à la recherche des véritables histoires de cette terre.

Vue aérienne de la Transpantaneira, route qui traverse le Pantanal (Brésil) 14, septembre 2020 (AFP / Mauro Pimentel)

Les 119 ponts qui traversent la route racontent bien les dynamiques de la région, où la terre et l’eau vivent normalement en bonne intelligence. La plupart des ponts ne sont que des assemblages de planches en bois qui menaçent de se briser à chaque craquement. Ils semblent m’avertir, haut et fort: “Tu n’es qu'un type avec une caméra, gare à toi”.  

 

Un bénévole dépose des fruits et de l'eau pour les animaux en souffrance du Pantanal, le16 septembre de 2020. (AFP / Mauro Pimentel)

 

L’odeur de chair putréfiée et les vautours qui tournoient dans le ciel au-dessus de moi m’indiquent qu’il y a sans doute quelque chose à photographier. Peut-être s’agit-il d’un crocodile mort dans le lit d’une rivière asséchée ou encore d’un oiseau qui a brûlé dans les flammes… Ou de tant d’autres animaux qui luttent pour survivre. 

J’étais pendant ce voyage le seul Brésilien de l’équipe, et pourtant, je n'avais jamais visité le Pantanal. Mes compagnons de route avaient s'y étaient déjà rendus pour travailler, ou en tant que touristes.  J’ai en mémoire les manuels scolaires et leurs images colorées de cette écorégion où vivent quelque deux millions de personnes.

Plus rien ne s’y apparente. Ni les couleurs vives, ni la végétation, ni les animaux. Tout est dominé par le gris brun d’un paysage recouvert de cendres.

Vue aérienne non loin de Porto Jôfre dans le Pantanal brésilien, le13 de septembre de 2020. (AFP / Mauro Pimentel)
(AFP/ Mauro Pimentel)
(AFP/ Mauro Pimentel )

Lorsque j’ai commencé ce reportage je me suis dit que mon regard serait celui d’un étranger, ou presque. Après tout, il y a 2.200 kilomètres entre ma maison à Rio et le district de Porto Jôfre, tout au bout de la Transpantaneira, soit la distance entre Paris et Istanbul. J’ai eu tort. Car un lien invisible relie tous les Brésiliens: la résilience. 

Je le devine dans la conviction collective qu’une bonne pluie effacera cet enfer. Dans la confiance que cette fois, c’est sur, les balles perdues cesseront de faire s’effondrer des corps innocents dans les rues de Rio.

(AFP / Mauro Pimentel)

Le lien est invisible, mais si palpable, dans chaque conversation, chaque confidence des habitants du Pantanal, incrédules face aux bouleversements de leur univers. Ce pays a tant de défis à surmonter, et de contradictions, mais nous nous sentons, d’une certaine manière si proches les uns des autres. Un groupe de bénévoles portant secours à des animaux, un pêcheur qui tente de venir à bout d’un feu qui a gagné un pont, des animaux à la recherche d’un peu d’eau et de vivres: chaque jour, pendant ce voyage, une nouvelle facette du Pantanal m’était révélée.

 

(AFP / Mauro Pimentel)

 

Par chance mon travail est d’être à l’écoute, et de documenter ce que je vois. Reproduire sur la pellicule la force de l’être humain et de la nature face à l’adversité. Il y a tant d’histoires à raconter sur le Pantanal, tellement plus que ce que j’ai pu rapporter de la région dans ma caméra pendant ce voyage.

Comme journaliste, je me sens frustré. Je ne sais pas si mes images ont suffi pour alerter sur la gravité de la situation. Avec chaque photographie, j’ai voulu crier au monde: le Pantanal est en flammes. Quelqu’un nous écoute?

Jaguar blessé dans des incendies non loin de Porto Jôfre, Brésil, le 15 septembre 2020. (AFP/ Mauro Pimentel )

Récit: Mauro Pimentel. Edition: Leticia Pineda à Montevideo et Michaëla Cancela-Kieffer à Paris

Mauro Pimentel