Quelques aéroglisseurs de trop…

KCNA est, la plupart du temps, l’unique source d’informations en provenance de Corée du Nord, où la presse étrangère n’est autorisée à pénétrer qu’à de très rares occasions. L’AFP, comme les autres agences de presse internationales, reprend régulièrement les images de cet organisme de propagande du régime de Pyongyang et les distribue à ses clients. Ces derniers sont systématiquement informés, dans la légende, de la source de l’image, et invités à considérer cette dernière avec les précautions qui s’imposent.

Les images de KCNA sont parfois grossièrement retouchées, auquel cas l’AFP s’abstient de les diffuser. Mais il arrive aussi que les manipulations soient si habiles que même un œil exercé est incapable de les détecter. C’est ce qui s’est produit le mardi 26 mars: l’AFP a d’abord diffusé la photo du soi-disant débarquement massif des troupes nord-coréennes en aéroglisseurs, sans se douter qu’elle avait été altérée. Alertée par un client qui a exprimé ses soupçons, elle a conclu à la réalité de la supercherie quelques heures plus tard, retiré la photo litigieuse de sa banque de données et prié tous ses clients l’ayant conservée de ne pas l’utiliser.

Entretemps, il a fallu analyser l’image en profondeur, afin d’en avoir le cœur net. L’AFP a utilisé pour cela le logiciel Tungstène de détection des retouches photographiques, qui avait déjà fait ses preuves en 2011 en permettant de démontrer qu’une soi-disant photo d’Oussama Ben Laden mort qui circulait sur les réseaux sociaux était un faux.

Dans le cas de l’image nord-coréenne, «la manipulation était une hypothèse plausible, mais elle a été très difficile à prouver. Plusieurs méthodes de falsification ont été employées», raconte Antonin Thuillier, le spécialiste de Tungstène à la rédaction en chef technique de l’AFP. «C’était comme de se retrouver face à un cadavre et de devoir prouver de toute urgence qu’il y a eu crime».

Il a fallu 1h30 pour parvenir à la conclusion formelle que le cliché de KCNA avait été retouché en profondeur. Tungstène est un logiciel complexe, dont l’utilisation requiert de solides connaissances mathématiques. Une analyse approfondie de l’image révèle que les deux aéroglisseurs sur le point de toucher terre sont orientés exactement de la même façon et dans le même angle par rapport à la lumière (le reflet du soleil sur l’avant du boudin des deux engins est étrangement ressemblant), ce qui n’a statistiquement aucune chance de se produire dans la réalité. Il apparaît également que l’aéroglisseur à droite sur la plage a été «construit» à l’aide d’éléments provenant de celui qui se trouve au centre… Conclusion formelle: il s’agit d’un coupé-collé, même si la manipulation a été soigneusement camouflée, notamment en fabriquant des gerbes d’eau différentes autour des deux aéroglisseurs identiques…

Un autre examen de la photo démontre que celle-ci est subdivisée en petits carrés, invisibles à l’œil nu. Cette anomalie n’a aucune raison d’être, mais à ce stade, on en ignore le motif…

Roland de Courson