Quand « tuer » prolonge l’espérance de vie

PARIS, 4 septembre 2013 – Gros buzz depuis que cette photo de François Hollande a été diffusée par l’AFP à ses clients, mardi 3 septembre, puis retirée au motif qu’elle était inutilement peu flatteuse à l’égard du président français. Ce revirement nous a valu d’être accusés de censure, d’avoir « tué » la photo sur ordre direct de l’Elysée. Ce n’est pas le cas (la preuve en est que nous republions l’image sur ce blog), même si notre décision d’éliminer la photo a posteriori était, de toute évidence, une erreur. Voici ce qui s’est passé exactement.

La photo polémique fait partie d’une série d’une trentaine de clichés pris par Denis Charlet, photographe du bureau de l’AFP à Lille, pendant une visite de François Hollande dans une école de Denain, dans le Nord de la France, le jour de la rentrée scolaire. La majorité des images de cette série ne prêtent pas à controverse: elles montrent le président serrant des mains à son arrivée, ou consultant des documents, l’air sérieux, devant le tableau noir dans une salle de classe.

AFP / Denis Charlet

Et puis vient cette image qui a fait trois fois le tour de la planète médias. S’apercevant qu’elle a été diffusée aux clients en même temps que les autres, un responsable du département photo de l’AFP décide de la retirer. Pourquoi a-t-il agi ainsi ?

D’abord parce que l’AFP a pour règle de ne jamais diffuser d’image qui ridiculise gratuitement les gens. On prend la décision de publier une photographie pour sa valeur informative, jamais pour la violence ou, en l’occurrence, le ridicule qu’elle peut générer. Par exemple, il arrive fréquemment que nos photographes, lors de conférences internationales, surprennent les dirigeants mondiaux dans des postures peu avantageuses, en train de se mettre le doigt dans le nez ou autre.

Un autre élément capital entre en ligne de compte : ce 3 septembre, le photographe de l’AFP était «de pool». C’est-à-dire qu’il prenait non seulement des photos pour notre agence, mais aussi pour nos concurrents Reuters, AP et EPA. Ce type de «pool» est fréquent quand la disposition d’un lieu –en l’occurrence une salle de classe– ne se prête pas à la présence d’un trop grand nombre de photographes. Etre «de pool» suppose une responsabilité particulière. Il faut veiller à ce que les photos donnent une vision d’ensemble de l’événement. Il faut éviter les angles insolites ou trop réducteurs, susceptibles de sortir l’image de son contexte ou d’en détourner le sens.

Dès lors, la décision de retirer cette photo obéit à des considérations purement éditoriales. Elle a été prise en toute indépendance. Nous n’avons fait l’objet d’aucune pression. Jamais la présidence française n’a exigé que nous prenions cette mesure.

La photo ci-dessous, très similaire, a d’ailleurs été également diffusée à nos clients et n’a jamais été retirée. Elle est même entrée dans les «topshots», la sélection des meilleures images du jour par le service photo de l'AFP:

AFP / Denis Charlet

Mais, comme la suite allait le prouver, une décision jugée bonne sur le plan éditorial peut aussi constituer une erreur de communication. En voulant «tuer»  cette photo après quelques minutes d’existence, nous avons en fait dopé son espérance de vie et ouvert la porte à une polémique sur un supposé interventionnisme de l’Elysée. La crédibilité de l’agence est en cause.

Non seulement la photo n’est pas «morte» comme nous l’aurions voulu, mais elle est devenue une des images les plus échangées du jour sur les réseaux sociaux en France (accompagnée, en plus, d’une foison de commentaires peu flatteurs à notre endroit…) Le tout alors que cette image, somme toute assez banale et très loin d’être scandaleuse en soi, serait sans doute passée plutôt inaperçue (l’AFP publie en moyenne 2.500 photos par jour) si nous n’avions pas attiré l’attention sur elle en demandant à nos clients de l’éliminer.

En 2003, la star américaine Barbra Streisand avait vainement tenté de faire retirer de la circulation une photo aérienne de sa résidence de Malibu prise par le photographe Kenneth Adelman, de l’agence Pictopia, dans le cadre d’une série illustrant l’érosion côtière en Californie. Non seulement la vedette avait perdu son procès, mais la photo d’Adelman, jusqu’alors confidentielle, avait acquis une célébrité mondiale. On parle depuis lors «d’effet Streisand». Notre photo de François Hollande en est une belle illustration.

Philippe Massonnet est le directeur de l'information de l'AFP.