Photographe du Hajj : une mission inoubliable
LA MECQUE, 10 octobre 2014 - La Mecque est totalement pleine à mon arrivée en provenance de Bahreïn. Plus de deux millions de pèlerins… Rien que le fait de marcher dans les rues de la ville sacrée, avec mes équipements en bandoulière, relève de l’exploit, surtout près de la grande mosquée. Des dizaines de milliers de musulmans filent sans cesse dans les rues, venant des quatre coins du monde, de cultures et de traditions différentes.
Aux abords du Haram (la grande mosquée et ses esplanades), qui est le lieu le plus saint de l’islam, des gens dorment par terre, sur des matelas de fortune. D’autres descendent frais et parfumés de leurs hôtels de luxe qui jouxtent le lieu. Habiter ces hôtels durant le Hajj coûte sans doute une fortune.
Le Haram est entouré de gratte-ciel, dont la tour royale de la Mecque, deuxième plus grande tour du monde, dominée par une horloge géante sur laquelle est gravé le nom Allah en arabe.
Les différences sont très visibles parmi les Hajij (ceux qui font le grand pèlerinage). C’est dans ce contraste visuel entre les gens que je trouve mon sujet préféré de photographie. Les idées fusent dans ma tête pour illustrer en images ce mélange unique de personnes dans ce lieu sacré. Mais mes idées se butent à l’ « interdit », un mot souvent utilisé par les autorités et leurs représentants zélés à La Mecque.
Comme c’est la première fois que je couvre le Hajj en tant que photographe, je suis très enthousiaste. Je crois pendant un moment que ma mission va être facile, étant donné que j’ai bien préparé à l’avance une liste de sujets que je veux couvrir avec mes collègues du texte et de la vidéo. Mais les procédures officielles sont longues et difficiles, et mon permis spécial pour pouvoir prendre des photos à l’intérieur du Haram n’est pas prêt. Le nombre de ces permis est d’ailleurs extrêmement limité.
Au bout du compte, je n’obtiens pas le permis qui m’aurait donné la chance d’être proche de la Kaaba, construction cubique au milieu de l’esplanade et partie la plus sainte du Haram vers laquelle se tournent tous les musulmans du monde pour prier. Je peux quand-même travailler sur les esplanades externes du Haram, durant des heures bien définies. Cela ne répond pas à toutes mes aspirations, mais je dois faire avec…
Quand je prends des photos, l’interaction avec les gens est très amusante et étonnante parfois. Beaucoup se mettent devant moi en levant les mains en l’air. Je dois sans cesse répondre à la même question : « Tu travailles pour quel média ? »
Certains sont contents de savoir que c’est l’AFP, comme s’ils réalisent que leur photo a plus de chances d’être vue à travers le monde. Un pèlerin pense que je suis photographe commercial : « Combien coûte la photo souvenir ? Est-ce que je l’aurai instantanément ? ». D’autres insistent pour être pris en photo, sans vraiment se soucier du sort de cette image. Contre toute attente, les femmes sont souvent les plus volontaires pour se faire photographier.
Le jour de l’ascension du Mont Arafat est l’événement le plus important du Hajj. C’est aussi le moment le plus exceptionnel pour moi, tant sur le plan personnel que professionnel. Dès l’aube, je monte sur cette colline qui se remplit progressivement de Hajij. Ici s’évaporent les inégalités et les différences visuelles entre les riches et les pauvres, ceux qui dorment dans les rues et ceux qui arpentent les hôtels de luxe. Tout le monde porte le Ihram, cet habit blanc fait de deux pièces de tissu non cousues. Personne ne se soucie du média pour lequel je travaille. L’atmosphère est chargée d’émotion et de spiritualité. Chacun se concentre sur les rituels, sous un soleil de plomb.
Sur cette colline qui accueille plus de deux millions de personnes en un jour, j’ai la chance de prendre des photos exceptionnelles. Après tout, je suis au milieu du plus grand rassemblement annuel au monde. Mes photos les plus fortes seront prises selon moi à cet endroit.
Après Arafat, nous descendons au coucher de soleil vers Mouzdalifa, dans un rituel connu sous le nom d’ « Al Nafra ». Le lendemain, c’est la lapidation des stèles représentant Satan à Mina. La foule est énorme et le travail de photographe n’est pas facile, tant la ferveur est grande.
La couverture du Hajj a certes été une mission épuisante physiquement mais je m’en souviendrai toute ma vie.
Mohammed Al Shaikh est un photojournaliste basé à Manama qui collabore régulièrement avec l'AFP. Voir son site internet. Il a obtenu le 11 octobre 2014 le premier prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre pour sa couverture des manifestations violentes à Bahreïn.
Le photographe Mohammed Al-Shaikh au travail pendant le Hajj (DR)