Une boule de feu
« J’ai juste vu une boule de feu qui m’arrivait dessus » a raconté Ronaldo Schemidt au sujet de l'image qui lui vaut le prix de la photo de l’année 2018 pour le World Press Photo, la plus haute distinction accordée à un photojournaliste par la profession. Pour lui c'est "une idée du Venezuela qui brûle"
Ronaldo, qui est basé au bureau de l’AFP à Mexico, se trouvait en renfort à Caracas en mai dernier, pour la couverture d’une crise politique sans fin et son cortège de manifestations toujours plus violentes.
Avant de recevoir son prix il a confié être "plein d'émotions contradictoires". "Je suis bien placé pour savoir ce que traverse le Venezuela", a expliqué le photographe dont la famille vit sur place.
A l'époque, ce pays où tout arrive et rien ne se passe, comme l'écrit la directrice du bureau María Isabel Sánchez, est emporté dans une vague de manifestations de l’opposition exigeant le départ du président Nicolas Maduro. Avec un débordement de violences qui fait en moyenne un mort par jour.
La couverture est un travail d’équipe, photographes, rédacteurs textes, reporters d’images, qui se déplacent tout la journée de rue en rue, de quartier en quartier, sur des motos conduites par des habitués à leurs exigences professionnelles.
Ronaldo a fait sa photo à l’instinct. Il n’a pas eu le temps de la calculer, et pas plus de réfléchir à la cadrer.
“J’ai senti la chaleur, le flash, et je me suis retourné. Je ne savais pas ce que c’était. J’ai juste vu une boule de feu qui m’arrivait dessus. Je l’ai suivi avec mon appareil, en prenant des photos en rafales, sans m’arrêter, j’ai entendu les hurlements, et là j’ai compris“, raconte Ronaldo.
En y repensant aujourd'hui il remarque que "cet homme porte un masque. Il ne représente plus seulement lui-même, ni lui-même en feu, mais une idée du Venezuela qui brûle".
Il avoue aussi avoir été "choqué par ce que je voyais, parce que je n'avais jamais été témoin d'une telle violence".
Pour lui, la séquence du jeune qui brûlait a duré au plus dix secondes. Comme le notera ensuite María Isabel Sánchez « il est essentiel d’avoir du flair, pour se trouver au bon endroit, au bon moment ». La chance n’explique pas tout.
La photo de Ronaldo a capturé l’instant d’un drame qui vaut à son collègue vénézuélien Juan Barreto le troisième prix du World Press dans la catégorie «séries », qui récompense une série de photos décrivant un évènement. Elle permet de comprendre, en images, comment on en arrive à l’instant saisi par Ronaldo.
Juan Barreto se trouvait non loin quand le réservoir d’essence d’une moto de la police sur laquelle s’acharnait un groupe de manifestants a explosé.
Victor Salazar, 28 ans, est aspergé d’essence enflammée dans l’explosion ainsi que semble-t-il par le contenu d’un cocktail molotov. Le manifestant part en courant, et sera photographié par Ronaldo, pendant que Juan le suit jusqu’à ce que le jeune soit aidé par d’autres manifestants.
Le jeune Salazar s’en sortira avec des brûlures sur 70% du corps, et 42 opérations de greffe de peaux. « Son traitement a été très douloureux, très traumatique. Il hurlait, il disait qu’il ne voulait plus vivre. Mais maintenant ses blessures cicatrisent”, a raconté à l’AFP sa soeur Carmen.
Au total, 42 photographes originaires de 22 pays ont été nommés dans les huit catégories du prix. Pour en arriver là, 4.548 photographes de 125 pays ont soumis 73.044 images, passées entre les mains d'un jury.
Ce billet a été écrit par Pierre Célérier à Paris.