A bras ouverts

Gallant, Alabama (Etats-Unis) -- Je n’avais jamais vu des gens assiégés se révéler aussi accueillants.

Dans l’Alabama, les journalistes cherchent Roy Moore, le candidat républicain au Sénat. Accusé d’attouchements sur mineures il y a plusieurs décennies, soutenu par Donald Trump, il fait à peine campagne.

Chaque dimanche depuis un mois, quelques caméras rôdent sur le parking de l’église rurale où il se rend depuis 25 ans, la First Baptist Church de Gallant, un bâtiment en bois et en briques surmonté d’un clocher blanc et entouré de prés.

Roy Moore, candidat à l'élection sénatoriale en Alabama, et sa femme Kayla, pendant un meeting de campagne à Midland, Alabama, le 11 décembre 2017. (AFP / Jim Watson)

 

On ressent toujours un brin de culpabilité, comme reporter, à surgir ainsi au milieu de nulle part et à accoster des gens qui n’ont rien demandé.

Roy Moore n’est pas venu, dimanche. "Vous viendriez, vous, avec tout ça ?" demande le pasteur, un homme d’ailleurs très aimable, en désignant nos objectifs. "C’est dur, vous savez, et c’est dur pour sa mère de 90 ans…. Je sais que vous faites votre travail, mais il faut penser aux conséquences pour sa famille".

 

Une dame se gare et se dirige vers l’église. Je l’accoste. "C’est un tissu de mensonges", dit-elle après un moment d’hésitation, entre agacement et lassitude. Après quelques minutes, Nancy Barksdale me laisse bouche bée en lâchant : "je suis la sœur de Roy".

Elle aussi va à cette église le dimanche. Je me frappe le front en découvrant que les frères et sœurs du candidat habitent tous à Gallant. J’aurais dû y penser.

Beverly Young Nelson, à gauche, tient un dessin la représentant jeune, avec son avocate Gloria Allred. Elle a accusé Roy Moore, alors jeune procureur, de tentative de viol quand elle avait seize ans. Le magistrat a démenti, assurant ne pas connaître son accusatrice. (AFP / Eduardo Munoz Alvarez)

 

"Peu importe ce qu’il dira, ils écriront toujours ce qu’ils voudront…", s’agace la sœur. "Depuis qu'il est adolescent, il reste tout proche de Dieu… Je connais son cœur, je sais qu’on aurait pu accuser n’importe qui pareil".

Plus tard, les bénévoles de l’église, à l’intérieur, proposent aux journalistes d’assister à l’office, en laissant les caméras et appareils dehors. Ces petites églises évangéliques sont plus intimidantes que les églises qu’on trouve en France. Pas de grand portail qui permette de se glisser au dernier rang. Ici on entre par de petites portes derrière lesquelles des groupes de bénévoles vous accueillent.

Je suis estomaqué : ces gens-là pensent que la presse s’est donné comme mission de détruire un homme qu’ils admirent… et ils tendent la main à un membre de la soi-disante "élite médiatique" de la côte Est, un Français. Je ne crois pas que leur accueil soit feint, une tactique.

Pourquoi pas ? L’une des fidèles, Toni Martin, me prend sous son aile. C’est une autre sœur Moore, la plus jeune, 58 ans. "Je n’ai jamais parlé à un journaliste avant", assure-t-elle, avant de s’asseoir sur le dernier banc, près de Nancy. "Mon frère est dans le chœur, il viendra s’asseoir ici tout à l’heure".

Tom Brown, pasteur de la First Baptist Church de Gallant et supporter de Roy Moore, à la porte de son église pour parler à la presse, le 10 décembre 2017. (AFP / Jim Watson)

 

Il y a environ 75 fidèles ce matin-là. Le pasteur, Tom Brown, prêche ici depuis 25 ans. Il a un bouc blanc fourni, des lunettes en verre polarisé et est vêtu d’un costume noir, d’une chemise violette et d’une cravate rayée. Il déambule, les mains dans les poches, un gobelet d’eau dans la main, sa voix amplifiée grâce au fin micro qu’il porte au visage, comme les chanteurs en concert. Le thème du jour est 2 Corinthiens 9:15 : "Grâces soient rendues à Dieu pour son don ineffable !"

L’église est une bulle spirituelle, intimiste, dont la chaleur est accentuée par le velours rouge de l’autel et des bancs, et la lumière vive du soleil filtrée par quatre fenêtres à vitraux. Des enfants chahutent pendant les chants. La seule allusion à la politique, pendant une heure, sera l’annonce par le pasteur qu’un car emmènera les membres de l’église mardi à la soirée électorale de Roy Moore.

Pendant une pause, tous les membres se saluent, s’embrassent. Leurs sourires sont contagieux, je serre une dizaine de mains, un intrus accepté. On me demande si j’ai une dénomination… Je réponds que la France est de tradition catholique. Toni m’explique la religion évangélique : "Nous croyons que la Bible est la parole exacte de Dieu".

Roy Moore, lors d'un meeting à Midland, Alabama, le 11 décembre 2017. (AFP / Jim Watson)

 

A la fin, dans l’église qui se vide, nous parlons enfin du frère absent. J’ai l’impression qu’avoir passé une heure à leurs côtés libère leur parole.

"Il est l’un des hommes les plus pieux que je connaisse", dit Toni, d’une voix prudente et douce. Elle lui parle régulièrement. "Il est comme le leader de la famille", dit-elle. Roy Moore est le frère aîné.

"Ca a été très dur car nous connaissons Roy, en tant que personne. Nous savons que les accusations sont fausses. Nous le soutenons par la prière", dit Joey Moore.

Stand d'articles à l'effigie de Donald Trump avant un meeting de campagne de Roy Moore, à Midland city, 11 décembre 2017. (AFP / Joe Raedle)

 

Je ne récupère pas de scoop, mais ces témoignages très personnels donnent un aperçu de la manière dont les proches ou les partisans de Roy Moore, qui contrairement à moi le connaissent depuis des année ou des décennies, justifient leur loyauté.

"Roy a toujours dit qu'il ne priait jamais pour gagner une élection, il s'en remet à la volonté divine", ajoute enfin le frère.

Puis, timidement, Toni Martin demande : "J’imagine qu’on ne pourra pas lire ce que vous écrivez ?" Je lui demande son adresse email et lui promets de lui écrire. Nous nous reverrons de toute façon mardi, à la soirée électorale de son frère. Peut-être la fin du calvaire. Peut-être qu’il n’y aura plus de caméras dimanche prochain !

Un verset de la bible, au quartier général du Parti républicain à Birmingham, Alabama, où des volontaires arrivent pour une campagne téléphonique de soutien à la candidature de Roy Moore, le 9 décembre 2017. (AFP / Jim Watson)

 

Ivan Couronne