Les passions catalanes
Barcelone (Espagne) -- La Catalogne… Une crise difficile à couvrir? Complètement imprévisible avant tout, à s’arracher les cheveux parfois et si passionnée que c’en est inquiétant.
Envoyée à Barcelone une semaine avant le référendum sur l’indépendance du 1er octobre, je m’attendais à quelques jours de désordre après le scrutin, même s'il se tenait malgré l'interdiction, mais rien de sérieux.
Au point d’inviter mon père à me retrouver dans la capitale espagnole le 5 octobre. Il a finalement passé l’essentiel de ses vacances à Barcelone.
L’histoire s’est prolongée sur plus de six semaines, dominant l’actualité internationale. Elle est loin d’être terminée.
Même si la tenue du scrutin avait été jugé illégale par la Cour constitutionnelle, personne n’aurait imaginé que la police empêcherait les gens de voter d’une façon aussi brutale.
Je ne m’attendais pas plus à ce que la société soit si polarisée, que les drapeaux espagnols ressortent, que mes amis madrilènes soient aussi remontés ou que les catalans opposés à l’indépendance aient peur de parler.
Je ne m’attendais pas non plus à avoir à démêler le vrai du faux, ou à entendre des déclarations frisant la mauvaise foi.
Par exemple, après une manifestation étudiante pro-indépendantiste, qui s’était tenue dans la bonne humeur à Barcelone, j’ai demandé à une jeune participante pique-niquant avec ses camarades pourquoi elle manifestait. Elle m’a répondu que c’était contre la répression de Madrid. Et notamment contre l'interdiction de manifester.
Quand je lui ai fait remarquer que c’est exactement ce qu’elle venait de faire, elle m’a répondu qu’elle parlait d’une fois d’avant.
De nombreux Catalans éprouvent ainsi un véritable sentiment de répression, particulièrement maintenant que les Madrid a imposé une administration directe sur la région jusqu’ici semi-autonome, tout au moins jusqu’aux prochaines élections.
Mais ce sentiment est difficile à comprendre pour moi, quand je vois des centaines de milliers de personnes manifestant dans les rues, pendant que d’autres vaquent tranquillement à leurs occupations.
C’est peut-être parce que j’ai travaillé en Chine.
En interviewant les manifestants catalans je me suis souvenue du “protest park”, le parc des manifestations installé à Pékin par les autorités avant la tenue des Jeux olympiques comme preuve de leur engagement supposé en faveur des droits de l’Homme.
Je n’y ai jamais vu personne, si ce n’est un malheureux individu que j’ai interviewé avant qu’il ne soit pourchassé par la police.
Même ambiance dans les régions tibétaines, quand je m’assurais de ne pas être observée avant d’interroger quelqu’un, pour ne pas lui faire encourir le risque d’être arrêté.
Pour moi la seule chose s’apparentant à une répression a été les brutalités policières le jour du référendum.
Je me trouvais devant un bureau de vote à 5h00 du matin, sous une pluie battante en compagnie de dizaines de personnes venues protéger l’endroit contre une possible intervention policière. Appelée au bureau, je les ai quittées à regret vers huit heures. La police anti-émeutes est arrivée un peu plus tard pour les disperser brutalement.
J’ai pensé à ce couple qui était venue pour jeter un œil sur leur adolescent. Ou à la vieille dame qui attendait patiemment à l’abri d’une corniche, sur son siège pliant, avec son livre. Je ne sais pas ce qui leur est arrivé.
A partir de ce moment la crise n’a fait que s’aggraver, d’une façon imprévisible et parfois incompréhensible, Madrid et les séparatistes jouant la montre.
Prenez le discours du chef catalan Carles Puigdemont le 10 octobre. Nous étions tous convaincus qu’il y déclarerait l’indépendance.
Et en fait… Il n’a pas été clair. Il a déclaré l’indépendance d’une façon tortueuse, avant de la suspendre. J’en suis venu à redouter la perspective de chacun de ses discours.
Couverture mise à part, j’ai été frappée par la polarisation au sein du pays. Et rien ne l’a mieux illustrée pour moi qu’en rentrant à Madrid après un séjour de deux semaines en Catalogne.
Le drapeau espagnol rouge et jaune, jusqu’ici boudé à cause de son association avec la dictature fasciste de Francisco Franco jusqu’en 1975, était maintenant accroché à bon nombre de balcons dans la capitale espagnole.
Trois de mes voisins ont accroché le leur, même si l’un d’eux le fait par intermittence. Un signe de dissensions internes peut-être ?
Par ailleurs mes amis madrilènes étaient tristes et en colère avec cette situation. Ca les affectait beaucoup.
Une de mes amies est partie pour son travail à Hong-Kong, ravie de se changer les idées. Mais même là-bas, alors qu’elle discutait avec des collègues dans un bar, un inconnu qui avait remarqué son accent espagnol est venu lui apprendre que le parlement catalan venait de déclarer l’indépendance.
Et il a enchaîné en lui demandant pourquoi l’Espagne opprimait autant les Catalans…
Et même si mon amie n’est pas une fan du premier ministre Mariano Rajoy, elle s’est sentie obligée de défendre le système espagnol, qui accorde une grande autonomie aux régions.
Les Catalans eux aussi ont subi cette polarisation. Dans les rues de Barcelone, les adversaires de l’indépendance étaient soit méfiants soit avides de s’exprimer. Mais vers la fin, ils étaient réticents à donner leur nom.
Une amie traductrice s’est retrouvée désœuvrée parce que les entreprises pour lesquelles elle travaillait attendaient de voir comment les choses tourneraient.
Elle connaissait un couple déchiré par le sujet, et elle-même s’était fait traitée de « fasciste » parce qu’elle ne soutenait pas l’indépendance, elle qui a toujours votée à gauche…
Les inquiétudes d’un grand nombre de catalans sur leur avenir ne semblaient pas être prises en compte par les supporters de l’indépendance et étaient largement ignorées par les leaders séparatistes.
J’ai été choquée par cette peur de s’exprimer, justifiée ou non, dans la région. Au point de tomber sur un supporter de l’indépendance qui a refusé de me donner son nom, en m’expliquant craindre que la police vienne le chercher.
En Espagne, je n’avais jamais eu à écrire qu’une personne refusait de donner son nom par peur de représailles. Je faisais beaucoup ça en Chine.
Le plus difficile pour moi a été d’essayer de donner une explication succincte de la volonté de Catalans, environ la moitié de la région estime-t-on, d’obtenir l’indépendance.
C’est un mélange complexe de raisons économiques, sociétales, historiques, le fruit d’un malaise social aggravé par la grave crise de l’Espagne.
Mais au fond, ce que je commence à réaliser c’est qu’il n’y a pas de sens à chercher une réponse rationnelle rapide à une aspiration qui vient bien souvent du cœur.
Comme dans le cas de cette vieille dame que j’ai rencontrée dans une manifestation. Elle refusait obstinément de parler en espagnol, une première pour moi.
Elle m’a racontée comment elle devait déposer une pièce à chaque fois qu’elle utilisait un mot catalan à l’école, sous la dictature de Franco, qui avait banni tout usage officiel de cette langue.
C’était il y a longtemps. Mais ce genre de sentiments ont la vie dure.
Comme les affirmations répétées des défenseurs de l’indépendance qu’ils se sentent « humiliés » par la façon dont le gouvernement central les a traités. Un homme m’a dit que la chose l’empêchait de dormir, et son père avec lui.
Ils ont le sentiment que Rajoy et son gouvernement ont simplement brandi l’arme de la loi, pour déclarer le référendum illégal, ainsi que plusieurs autres lois votées par le Parlement catalan, et n’ont pas fait d’effort pour gagner les cœurs et les âmes.
En même temps, Puigdemont et ses ministres ont été accusés d’utiliser ces sentiments pour pousser leur avantage, aux dépens d’autres sujets méritant leur attention comme la santé ou l’éducation.
Les conservateurs au pouvoir à Madrid ont pour leur part été accusés d’alimenter le nationalisme espagnol.
Et pendant que les yeux du pays sont rivés sur la crise, les affaires de corruption impliquant le Parti populaire de Rajoy et des politiciens catalans sont opportunément oubliées…
Mais maintenant que les élections régionales approchent, l’indépendance semble un rêve lointain. Puigdemont s’est enfui pour la Belgique avec des ministres, peu après la déclaration d’indépendance du Parlement, au motif qu’il ne bénéficierait pas d’un procès équitable en Espagne.
Un juge a placé en détention préventive d’autres responsables séparatistes pendant l’enquête dont ils font l’objet pour rébellion et sédition. Des charges que beaucoup considèrent disproportionnées pour des gens qui ont peut-être violés la loi, mais n’ont jamais utilisé la violence.
Quels que soient les résultats des élections du 21 décembre, je me demande à quel point la rancoeur, les passions et parfois la simple hystérie générées par la crise auront fait du mal à la Catalognes, et si elles sont appelées à durer.