Aux portes de la prison
Fleury-Mérogis (France) -- Je suis photographe de presse depuis huit ans, et des manifs, j’en ai couvert, des dizaines et des dizaines. Mais là, ça a été autre chose : des gardiens de prison. Ce n’est pas comme des gamins du 9-3. Et en plus, pas n'importe quels gardiens de n'importe quelle prison!
En cette belle fin de journée ensoleillée du 10 avril, je
suis donc dépêché à une heure de Paris, au milieu de la campagne. Quelques centaines de matons se sont rassemblés sur l'unique artère menant à la plus grande maison d'arrêt d'Europe, Fleury-Mérogis, et ses plus de 4.000 détenus.
C’est le point d’orgue d’une grogne qui montait depuis la récente agression de six gardiens par des détenus. Le personnel pénitentiaire exige plus de moyens humains et réglementaires pour garantir sa sécurité. L’établissement, surpeuplé, est presque au double de sa capacité théorique.
Il est 19h et les surveillants en colère peaufinent leurs barrages.
En plus des amas de pneus et palettes disposés en travers de la
chaussée, ils déplacent quelques bennes à ordures afin d'empêcher tout véhicule de se frayer un chemin.
Ils disposent également çà et là des
jerrycans d'essence, pour mieux les avoir à portée de main.
En bref, ils sont en colère, et à en juger par leurs préparatifs, semblent prêts à le faire savoir à ceux qui voudraient les déloger de là.
Malgré tout, l'ambiance reste bon enfant.
Un grand gaillard me donne même un masque
de protection pour la bouche, car j'ai oublié le mien à la rédaction.
Vers 20h, un certain Marcel monte au créneau. Ce syndicaliste Force Ouvrière, connu de tous les geôliers, motive les troupes: "Vous allez chialer quand vous serez dans la lacrymo! Ils vont vous caresser avec leurs matraques! Ca vous chatouillera peut-être jusqu'au service trois pièces, mais c'est pas grave! En vous entraidant, ça ira! Gardez toujours un œil sur vos collègues!".
21 heures: mise à feu de la première barricade. J'entends des
surveillants s'esclaffer, hilares: "On se croirait sur un barrage
en Guyane!". D'autres posent, tout sourire, pour les caméras.
Soudain, on entend dans la nuit le bruit de matraques frappant en
rythme les boucliers! Ils sont là! La silhouette d'une cinquantaine de gendarmes caparaçonnés apparaît dans la lumière rougeoyante de l'immense brasero. Eux aussi, se motivent avant la bataille.
Les matons se massent derrière la barrière de feu et invectivent leurs adversaires.
La confrontation est inévitable, et assez violente.
Les surveillants s'accrochent les uns aux autres par les bras pour former une chaîne.
La lacrymo pleut de toutes parts, en grenades ou en spray à main. Le décor devient apocalyptique!
Les chaînes de geôliers bousculées par la maréchaussée s'écrient subitement: "pas le feu! pas le feu!", car sous la pression de la police ils se rapprochent en effet dangereusement de la deuxième barricade, et la chaleur qu'elle dégage devient
insoutenable.
Ils tentent alors de profiter de leur grand gabarit pour repousser les boucliers malgré les coups de matraques.
Les gardes scandent ensuite en chœur: "Etat contre Etat!" mais doivent reculer jusqu'à leur prochaine barricade.
Il y en a quatre en tout et la quatrième se trouve à l'intérieur même de l'enceinte de la prison, devant la porte d'entrée du parloir.
Cette manœuvre permet aux pompiers d'intervenir et d'éteindre les incendies ce qui provoque encore davantage de fumées.
Les argousins, repoussés enfin dans leurs ultimes retranchements, tapent contre les lourdes portes métalliques de la forteresse.
Je me demande si les prisonniers peuvent entendre ce bruit et celui des affrontements ou s'ils les suivent en direct à la télé.
Vers 23h les garde-chiourmes terminent leur action par un sit-in. Je profite du retour au calme pour envoyer mes images. C’est le moment que choisit un des manifestants pour venir me justifier leur mouvement. Selon lui, le degré de violence est tel que les prisonniers sont sourds à toute tentative de dialogue et frappent directement les gardiens. Il se plaint aussi que les fouilles de détenus après une visite avec leurs proches au parloir soient désormais interdites. Ce qui facilite le trafic de téléphones portables, de drogues et même d’armes blanches.
Il commence à faire tard, je rentre parce que demain matin je couvre l'inauguration d'un barrage dans l'Oise par le président de la République...
Ce blog a été écrit avec YAna Dlugy à Paris.