Bahreïn : au cœur de la contestation
DUBAÏ, 11 octobre 2014 - Le photographe Mohammed Al-Shaikh a reçu, samedi 11 octobre, le premier prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre dans la catégorie photo professionnelle. Ce photojournaliste indépendant de 40 ans, basé à Manama et qui collabore régulièrement avec l'AFP depuis 2011, a été récompensé pour son sujet sur les violentes manifestations à Bahreïn. Le petit royaume du Golfe est agité depuis février 2011 par une contestation de la majorité chiite qui réclame des réformes, incluant une véritable monarchie constitutionnelle qui réduirait les pouvoirs de la famille régnante.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles tu fais face dans ton travail de photojournaliste à Bahreïn, pays secoué depuis 2011 par un mouvement de contestation animé par la majorité chiite ?
Il y a une double difficulté, avec les policiers et avec les manifestants. Certains manifestants et certains policiers comprennent la nature de notre travail, mais d’autres ne comprennent pas et, parfois, leur réaction peut être agressive. Cela s'exprime verbalement et, dans certains cas, physiquement. Récemment, les choses ont commencé à changer, comme si tout le monde comprenait la nature du travail de journaliste, et il y a désormais moins d’incidents.
Quelle est la situation la plus dangereuse à laquelle tu as du faire face ?
Une nuit, dans le village (chiite) de Diraz, j’étais posté à un endroit faisant face aux forces de police. L’obscurité était totale. Ils ont tiré sur moi avec un fusil de chasse connu localement sous le nom de « Shozen », un mot dérivé du mot anglais shotgun. Du plomb m’a blessé au pied. On m’ avait pris pour un protestataire (…). Après m'avoir atteint, ils se sont rendus compte que j'étais photojournaliste, mais j’aurais pu me faire tuer. Généralement, on n’utilise pas de gilets pare-balles dans notre travail. Nous estimons que ce n’est pas nécessaire, étant donné que les forces de sécurité n’utilisent pas généralement des balles réelles.
Quel est le sujet préféré dans ton travail de photographe ?
La femme dans le mouvement de contestation. Dans les manifestations qui ont secoué les pays du Printemps arabe, la femme a joué un rôle important, mais ce sont les hommes qui dirigeaient la contestation dans la rue. Ici, à Bahreïn, une société très conservatrice, les femmes ont joué un rôle moteur, un rôle dirigeant. Les femmes sont souvent plus nombreuses dans la rue. Elles s’occupent toujours de faire passer le message concernant le lieu et la date des manifestations. Les femmes fabriquent elles-mêmes les banderoles. Elle les font de leurs propres mains. C’est un sujet principal que j’aime couvrir.
La contestation n’éclipse-t-elle pas les autres aspects de l’actualité et la vie dans ton pays ?
Les images montrant les manifestations à Bahreïn ont suscité un intérêt mondial, surtout pendant les deux années après le début du mouvement de contestation le 14 février 2011. Mais la vie à Bahreïn ne s’arrête pas là. Il y a le quotidien des gens, la société, l’autre visage de ce petit pays que, malheureusement, la contestation a éclipsé. Je crois qu'il ya plus d'espace aujourd'hui pour des sujets différents.
Quelle est pour toi la signification de l'attribution du prix Bayeux ?
C’était un rêve dont la réalisation était tout à fait inattendue. Ceux qui ont eu ce prix avant moi, comme James Nachtwey, sont des modèles pour moi. Ils ont plus d’expérience et ont fait des œuvres magnifiques. C’est un honneur, un grand honneur qu’on me décerne ce prix.
Qu’est-ce que l’AFP a ajouté à ton travail ?
Le rôle de l’AFP et celui des éditeurs dans ma vie professionnelle est primordial. Le dialogue permanent m’a aidé à mieux comprendre ce que le monde attend d’un photographe dans ma situation, ainsi que la qualité requise pour les photos. J’ai commencé aussi à mieux percevoir la réaction aux photos. Mon approche a énormément changé depuis que j’ai commencé à collaborer avec l’Agence France-Presse.
Propos recueillis par Wissam Keyrouz (AFP Dubaï)
A lire également: le reportage de Mohammed Al-Shaikh à La Mecque pendant le Hajj 2014.
Le photographe turc Bülent Kiliç a, par ailleurs, reçu le troisième prix Bayeux dans la catégorie photo professionnelle pour sa couverture des événements sur la place Maïdan de Kiev.