Retour vers le futur en Ecosse
GLASGOW, 19 septembre 2014 - Pour ceux qui ont déjà un pays, la quête d'indépendance d'une nation témoigne souvent d'un repli identitaire, de surcroît en cette ère de mondialisation. Mais pour ceux qui ont le sentiment de ne pas ou plus appartenir à un pays, cette quête répond souvent d'un désir d'affirmation, d'une volonté de prendre en charge son destin pour justement exister, de porter une voix, la leur, dans cette mondialisation. Deux regards, un mot: nationalisme.
En 1995, j'avais 17 ans. Et je n'ai pu voter lors du dernier référendum sur l'indépendance du Québec qui s'est soldé par une victoire in extremis du camp de "non" et l'amertume du chef souverainiste Jacques Parizeau, qui avait mis la défaite sur le compte de "l'argent et du vote ethnique". Il accusait les immigrants d'avoir majoritairement voté contre l'indépendance de la province francophone. Ses paroles avaient non seulement choqué la population mais apporté de l'eau au moulin de ceux qui voyaient le mouvement indépendantiste québécois comme l'expression d'un dangereux "nationalisme ethnique".
En 2011, à Juba, j'ai revécu par procuration le référendum québécois dans un tout autre contexte lorsque les Sud-Soudanais votaient leur indépendance après des décennies de guerre civile.
Les différences entre nordistes et sudistes au Soudan étaient nombreuses, mais rarement taxait-on les Sudistes de porter en eux les germes d'un nationalisme ethnique. Leur récit tenait davantage de la "libération" d'un peuple. Au matin du référendum, ils étaient des milliers, debout, résolus, à voter, à près de 99%, pour l'indépendance. Après des décennies de guerre et de pauvreté, difficile de dire aux Sud-Soudanais qu'ils étaient "mieux ensemble" avec le nord. Ils n'avaient rien à perdre à se séparer ,contrairement aux Québécois et aux Ecossais, deux démocraties centenaires du Commonwealth dotées d'économies de marché intégrées.
Dépouillement dans un bureau de vote de Juba, au Soudan du sud le 15 janvier 2011, pendant le référendum d'autodétermination
(AFP / Yasuyoshi Chiba)
Si les questions cruciales du partage des ressources pétrolières, du tracé de la frontière, de la citoyenneté des Sudistes ayant décidé de rester au Nord évoquaient des scénarios-catastrophe, personne ou presque en Occident ne remettait en cause le bien fondé de cette démarche, contrairement aux indépendantistes québécois et écossais qui doivent chaque fois faire la preuve de la "viabilité", voire de la légitimité de leur projet.
Au cours de la dernière semaine, je me suis rendu en Ecosse pour tenter d'y comprendre les différences entre le "non" et le "oui" comparativement au Québec, sans avoir à écrire une série de dépêches et reportages pour l'AFP. Le but était simplement d'aller à la rencontre des Ecossais. Et l'une de mes premières rencontres fut étrangement avec Alex Salmond, chef de file des indépendantistes, croisé dans un concert du groupe rock Franz Ferdinand. Souriant, enthousiaste, accessible, Salmond n'avait pas l'air autrement ému lorsque je lui ai dit que j'étais Québécois. Et pour cause. Les indépendantistes écossais semblent avoir tenté de ne pas reproduire les erreurs de leurs "cousins" de la Belle Province.
Si au Québec, les campagnes électorales et référendaires sont orchestrées du "haut vers le bas", de la ligne du parti à la population, en Ecosse le camp du "non" et surtout celui du "oui" sont constitués d'une toile de militants venus de différentes franges de la société, qui s'approprient chacun le message de leur camp quitte à la façonner à leur guise. Le tout en finançant eux-mêmes la campagne locale comme Andrew, rencontré par un après-midi brumeux entremêlé du crachin des dieux à Dunbar, ville côtière à une quarantaine de kilomètres d'Edimbourg, qui a mené sa campagne pour le "oui", ouvrant une permanence, distribuant des tracts, à même ses propres économies.
Idem dans les communautés culturelles, notamment chez les "Ecossais d'Asie du Sud", en grande partie des musulmans d'origine pakistanaise. A la grande mosquée de Glasgow, chacun se dit un "fier écossais" et la question référendaire était au cœur des discussions entre les prières.
"C'est ici environ 52% pour le non, 48% pour le oui", notait avec humour l'imam juste avant le jour J. Bref, les intentions de vote étaient, dans la communauté, presque les mêmes que dans le reste de la population écossaise, ce qui est vu par plusieurs comme un signe ostentatoire d'intégration. Si la vielle garde tend naturellement vers le "non", les jeunes, eux, se sont en grande partie mobilisés pour le "oui".
"Les plus vieux ont peur pour leur retraite et leur passeport, mais nous sommes jeunes et n'avons pas peur", lançait Iqbal, citant aussi la défense du modèle social écossais, les déclarations d'Alex Salmond sur Gaza et le rejet de la politique de Londres au Moyen-Orient, notamment la guerre en Irak. Dans cette campagne locale chaudement disputée, le camp du "non" a lui pu compter sur un soutien de taille: Mohammad Sarwar, député pendant treize ans à Glasgow sous la bannière du Labour (gauche, pro-union), toujours doté de forts réseaux et rentré d'urgence du Pakistan où il est désormais gouverneur de la province du Penjab, vingt fois plus peuplée que l'Ecosse.
Et la campagne du "oui" s'est efforcée de miser sur un avenir, plutôt qu'un passé, commun aux Ecossais en ancrant ce futur dans la défense d'un modèle social aux antipodes du conservatisme économique hérité de Margaret Thatcher. Le fantôme de "Maggie" flottait sur la campagne sans jamais apparaître comme dans cette taverne au charme suranné d'un quartier déshérité de Glasgow où le proprio tapisse fièrement ses murs de la nécrologie de grands britanniques, sauf celle de madame Thatcher.
Au Québec, la question de l'unité ou non avec le Canada repose en partie sur la défense d'un modèle social, mais plus profondément sur une identité linguistique. Les Québécois sont huit millions de francophones dans une Amérique du Nord anglophone. Et le Parti québécois (PQ), relégué à l'opposition en avril 2014 après la publication de sa controversée "charte des valeurs", qui tentait justement de circonscrire cette identité québécoise, forme une coalition fragile d'indépendantistes de gauche et de droite, en quête d'un nouveau chef et surtout d'un nouveau projet, du genre de celui que les Ecossais sont venus légitimer par la bande.
Car quelque chose s'est bien levé en Ecosse, où une population entière s'est posée, pour la première fois peut-être, les questions fondamentales sur son avenir, partisans du "oui" et du "non" débattant des heures à table au sein de la même famille, sans acrimonie, avec un sens aigu de la démocratie.
Et il était difficile pour un Québécois de ne pas piocher dans son propre passé lorsqu'Alex Salmond, en concédant sa défaite, a affirmé que l'Ecosse avait voté "pour le moment" contre l'indépendance. Aussitôt, ce sont les paroles de René Lévesque, chef historique du Parti québécois, qui reviennent à la mémoire.
"Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de dire à la prochaine fois", avait-il soufflé à la foule après la première défaite référendaire du "oui" en 1980, ouvrant la porte à un autre scrutin quinze ans plus tard, après sa mort.
Guillaume Lavallée, journaliste québécois, est actuellement correspondant de l'AFP à Islamabad après avoir travaillé aux bureaux de Khartoum et de Montréal.
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