Rentrée des classes à Gaza
GAZA, 15 septembre 2014 - Des photos d'enfants retrouvant le chemin de l'école à Gaza, j'en ai fait des centaines. Mais celles que j'ai prises cette année, je ne les oublierai jamais.
Sur les visages des enfants, au lieu de lire la joie de retrouver leurs camarades, l'enthousiasme de ceux qui entament une nouvelle année scolaire, on ne lit bien souvent que l'angoisse et les mauvais souvenirs.
En arrivant, ils ne savent pas s'ils retrouveront leurs amis d’avant la guerre, la plus longue et la plus meurtrière à Gaza depuis le retrait israélien de 2005. Cinq cents enfants, parmi plus de 2.140 Palestiniens tués en cinquante jours de guerre, ne répondront plus jamais à l’appel de leur enseignant.
Vu de la cour de récréation, les murs, les portes, les fenêtres, tout porte, bien visibles, les stigmates de la guerre. Une fois dans la classe, ce sont d'autres blessures qui se font visibles. Dans les rangs clairsemés, certaines places sont vides.
Au premier rang, un écriteau sur un pupitre proclame: « Najia Jihad al-Helou, élève martyre, 14 ans ». Alors l'année scolaire commencera par une prière.
L'institutrice explique ce qui est arrivé à Najia, pourquoi elle ne viendra plus jamais en classe. Elle est morte dans un bombardement avec son père. C'est un moment extrêmement émouvant.
A Chajaya, l'un des quartiers les plus touchés par les destructions dans la ville de Gaza, tout le monde a perdu un proche ou a eu un membre de sa famille blessé dans la guerre.
L'institutrice aussi raconte son histoire. Elle aussi, comme eux, a perdu quelqu'un. Mais elle tente de rassurer, de redonner espoir à des enfants qui, dans leur courte vie, ont déjà connu trois guerres et disent tous redouter d’entendre bientôt les drones israéliens reprendre leur bourdonnement qui ne quitte plus leur tête.
Selon l'ONU, au moins 373.000 enfants devront être suivis psychologiquement après cette guerre. L'école qu'ils retrouvent n'a plus grand chose à voir avec celles qu'ils ont laissée en partant en vacances au début de l'été. Certains murs sont tombés. D'autres portent des trous béants aux contours noirs de suie, souvenirs des impacts de bombes de l'aviation israélienne.
Au moins 24 écoles ont été totalement détruites et 190 autres ont été endommagées dans l'enclave où près de 45% de la population a moins de 14 ans. A Gaza, déjà avant la guerre on manquait d'écoles, parce que le blocus israélien empêche l'entrée de matériaux de construction et parce qu'à chaque guerre ce sont de nouvelles écoles qui disparaissent.
Comme il est impossible de reconstruire les 20.000 maisons détruites, les écoles sont devenues à Gaza des centres d'accueil pour déplacés. Environ 65.000 d'entre eux sont encore abrités dans des écoles de l'ONU, dans l'attente d'une solution de relogement qui tarde à venir.
Dans les écoles qui ont ouvert leurs portes aux élèves le dimanche 14 septembre, les effectifs par classe ont doublé pour que tout le monde puisse reprendre les cours. Mais les cours cette année attendront un peu. Il faut d'abord évacuer la surprise, passer le moment d'effarement.
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Dans le quartier de Chajaya, j'arrive dans la cour d'une école de filles: elles découvrent devant mes yeux leur établissement dévasté par les chars israéliens. La cour de récréation bruisse des conversations des unes et des autres, des exclamations devant les murs criblés de balles, les salles de classe désormais ouvertes aux quatre vents, où seul un tableau noir témoigne qu'un jour des élèves ont étudié ici.
Normalement, la rentrée devait avoir lieu il y a trois semaines. Mais il y a trois semaines, l'aviation israélienne pilonnait encore la bande de Gaza et ses 1,8 million d'habitants. Alors cette année, la rentrée laisse un goût étrange dans la bouche.
Un goût amer que j'ai ressenti dès six heures du matin dimanche, premier jour de la semaine en Palestine, quand j'ai pris le chemin de l'école avec les enfants de Chajaya.
C'est un chemin bien particulier que ces enfants doivent emprunter: pour arriver en classe, il faut enjamber des gravats, traverser des maisons dont ne restent que les structures métalliques, éviter les cratères laissés par les bombardements, contourner les carcasses de voiture calcinées et ne pas se prendre les pieds dans les ruines.
Au-delà du parcours, visuellement très impressionnant, il y a une autre image qui m'a frappé: contrairement aux années précédentes, beaucoup de familles n'ont pas pu se procurer l'uniforme des écoliers ou les habits neufs de la rentrée.
En fait, ce n'est vraiment pas une rentrée comme les autres, parce que cette année les enfants sont différents. Leurs visages ne sont plus les mêmes. Ils sont marqués par la peur et par la peine, celle qui nécessitera un long travail bien après la guerre.
Mahmoud Hams est photojournaliste au bureau de l'AFP à Gaza.