L'armée britannique fait exploser un champ de mines à la frontière irakienne, en janvier 1991 (AFP / Patrick Baz)

Photographier la guerre

PARIS, 12 septembre 2014 - La photo de guerre est un genre à part du photojournalisme. Elle demande du courage pour aller au plus près de l’action. Elle exige de grandes qualités humaines pour comprendre les mentalités guerrières. Elle nécessite du sang-froid pour évaluer la dangerosité. Elle requiert de la détermination pour témoigner et porter un regard distancié sur les conflits.

Dans le livre « Photos de guerre – L’AFP au cœur des conflits », Yves Gacon donne la parole à six photographes de l’AFP de différentes nationalités: le Franco-Libanais Patrick Baz, le Norvégien Odd Andersen, les Français Eric Feferberg et Fred Dufour, le Colombien Miguel Medina et l'Ivoirien Issouf Sanogo. Certains ont vécu la guerre dès leur enfance. D’autres l’ont découverte lors de missions d’envoyés spéciaux. Mais tous ont été volontaires pour aller sur le terrain, pour y vivre une expérience exaltante, ressentir l’adrénaline qui monte face au danger. Extraits.

Des rebelles affrontent les forces du régime syrien dans la vieille ville d'Alep, en septembre 2012 (AFP / Miguel Medina)

Vivre et photographier la guerre

Avec la pratique, l’oreille se fait à l’ambiance de guerre. Elle apprend à reconnaître le fracas des armes, à identifier les départs de mortiers, les tirs de mitrailleuses, les explosions de bombes… Lorsqu’éclatent les affrontements à l’arme lourde, l’instinct de survie repère la position où se replier. « Dans ces situations, on recherche un rempart solide, par exemple derrière les essieux de véhicules » souligne Fred Dufour.

Pour son premier reportage, Miguel Medina part en terre inconnue. C’est en période de vacances à Paris. Un responsable du service photo lui propose de manière impromptue de partir en Égypte. « Je dis oui en tremblant. Je ne connaissais rien. Je n’avais aucune expérience de la guerre. J’ai eu la chance du débutant. »

Des membres des anti-balaka à Bangui, en février 2014 (AFP / Fred Dufour)

Il fera par la suite un reportage en Syrie, à Alep en 2012, avec une équipe texte et vidéo. Il y retournera l’année suivante, mais dans des conditions beaucoup plus tendues. Envoyé pour dix-huit jours en février 2013, Miguel n’ira pas au terme de sa mission. Dans la région de Lattaquié, il se fait « prendre par des rebelles ». Ses appareils, son passeport et son portable lui sont confisqués.

Les échanges qu’il aura avec ses ravisseurs sur la littérature ne suffiront pas à les convaincre de le laisser faire son métier. Surtout lorsqu’il reconnaîtra avoir lu la Bible et pas le Coran. « Vous ne lisez que les élèves, pas les maîtres » lui assène son interlocuteur. « Si j’ai un conseil à vous donner, partez et ne revenez pas. » Miguel comprend qu’il ne doit pas insister. Quelques semaines plus tard, deux journalistes seront enlevés dans cette région.

Des US Marines se réveillent après une tempête de sable près de Nasiriyah, en Irak, le 26 mars 2003 (AFP / Eric Feferberg)

Chacun a sa manière de gérer l’appréhension et de s’adapter au contexte de guerre. « Je fonctionne énormément au feeling, même si c’est difficile à expliquer. Quand je sens mal les choses, je ne force pas le destin », dit Éric Feferberg. Il a acquis cette certitude par l’expérience.

En reportage en Macédoine en 2001, il fait équipe avec le journaliste de l’AFP Dave Clark. Ils sont la cible d’un tireur embusqué. La tôle de la voiture est perforée en plusieurs endroits, un pneu est crevé. « Nous avons eu vraiment très chaud. On vit alors une sorte d’état second où l’on ne sait plus si l’on est vivant ou mort. »

Fred Dufour fait la même analyse. « Je me fie à mon instinct. J’essaie d’être bien dans ma tête, d’être serein, de prendre le moins de risques possible pour ne pas me mettre en danger et me retrouver dans une situation de panique. »

Un soldat de l'armée sierraléonaise à Masiaka, à l'ouest de Freetown, en mai 2000 (AFP / Issouf Sanogo)

Lors d’un reportage en Centrafrique, il sent que tout va mal : « Ce n’était pas notre chauffeur habituel. Le moteur de la voiture n’arrêtait pas de caler. Nous n’avions pas de plan précis pour nous repérer dans un quartier dangereux. Cela faisait trop d’éléments qui n’allaient pas. Nous avons rebroussé chemin. »

Les photographes de guerre sont des passionnés. Montrer la guerre, en dénoncer les horreurs, témoigner des souffrances, c’est leur credo. Mais la passion de l’image ne suffit pas. Ils font preuve de courage et d’abnégation pour affronter la réalité des conflits, disent leurs admirateurs. Ce sont des « têtes brûlées » et des inconscients, rétorquent leurs détracteurs. 

Quand on les interroge sur le risque, sur ce que certains nomment le hasard, d’autres la chance, ils admettent que cela fait partie du métier. Cette chance qui fait que la bombe, l’obus, la balle ne les ont pas atteints. Mais ils font davantage confiance à la connaissance du terrain, la compréhension des mentalités guerrières, l’expérience, pour se sortir de situations dangereuses.

Une famille fuit les combats près du port de Bassorah, en Irak, le 29 mars 2003 (AFP / Odd Andersen)

En quelques phrases, ils analysent la notion de risque

Patrick – « J’ai peur avant et après. Sur le moment je n’ai pas peur. Ta photo ne vaut pas une vie, c’est la seule règle qui vaille. »

Éric – « Le plus difficile c’est la période où il faut gérer l’inquiétude pour la famille avant le départ. Mais je garde ça pour moi. »

Odd – « Je ne sais pas si les balles sont passées à vingt centimètres ou à deux mètres. Mais je sais que j’ai senti le danger et que parfois j’ai eu peur. »

Miguel – « Il y a parfois de l’appréhension. J’ai appris à respirer dans les moments de stress. Ce qui est fait est fait. Au retour, il faut passer à autre chose. »

Extraits du livre « Photos de guerre – L’AFP au cœur des conflits », par Yves Gacon, directeur du pôle édition et documentation de l'AFP (Armand Colin / AFP - 146 pages, 19,90 euros)

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