Robocop dans le salon d'honneur
RIO DE JANEIRO, 14 mars 2014 – J’étais venu au quartier général de la police de choc de Rio pour couvrir un exercice de simulation du nouveau « Bataillon policier pour les grands événements ». Cette unité d’élite a été spécialement créée pour faire face aux manifestations pendant la Coupe du monde de football au Brésil, l’été prochain.
C’était une opération de relations publiques destinée à la presse étrangère. Pour mettre à l’épreuve leurs collègues casqués et équipés de boucliers, des policiers en civil et torse-nu imitaient une émeute avec un stupéfiant réalisme. Au milieu des barricades et des fumées, les faux protestataires lançaient à toutes forces sur leurs camarades des cônes en plastique, des pneus, des bouteilles d’eau et des projectiles en tout genre en hurlant : « chiens de Cabral ! », en référence à l’impopulaire gouverneur de Rio de Janeiro Sergio Cabral, qui contrôle la police militaire.
Une fois la démonstration terminée, un responsable nous a proposé d’aller dans le salon d’honneur, où était exposé le matériel utilisé pendant la démonstration. En chemin, j’ai remarqué l’état de délabrement dans lequel se trouvait le bâtiment : des vitres cassées, des fils électriques qui pendaient du plafond, et même des plantes sauvages qui poussaient à l’intérieur. Pour le quartier général de la police d’élite, cela faisait un peu misérable...
Dans le salon d’honneur, de nombreux équipements étaient disposés par terre et sur des tables : des bombes de gaz lacrymogène, des boucliers et des armures. Photographier tout ce fatras ne m’intéressait pas. Et puis, tout à coup, quelqu’un m’a touché l’épaule. Je me suis retourné et j’ai vu ce policier équipé des pieds à la tête, transpirant comme un bœuf, qui m’a demandé de le prendre en photo. « Est-ce que je dois porter mon masque ? » m’a-t-il dit. J’ai répondu oui, et il a posé au milieu de la pièce, entouré de tous ces énormes portraits d’anciens dignitaires.
C’était une situation drôle, mais surtout complètement bizarre. Je ne me suis pas attaché à montrer les détails de l’armure, mais surtout l’étrangeté de la scène.
L’équipement du policier sur la photo pèse dix kilos et sera porté par environ 200 policiers. En plastique ultrarésistant, il a été conçu pour résister aux jets de pierres, de pétards et d’objets pointus de tout ordre. L’image de ce chevalier des temps modernes suant sous son armure en plein été tropical a été l’une des photos qui a rencontré le plus de succès sur la page Facebook de l’AFP. Elle a généré des flots de commentaires sur les réseaux sociaux et a été reprise par de nombreux médias au Brésil.
L’an dernier, pendant la Coupe des confédérations, des centaines de milliers de Brésiliens avaient manifesté, parfois violemment, contre la corruption, la répression policière, la mauvaise qualité des services publics et contre les sommes dépensées pour le Mondial au détriment de l’éducation, de la santé, du transport et du logement. Les mécontents promettent qu’ils redescendront dans la rue pendant la Coupe du monde pour faire entendre leurs revendications. Prendre cette étrange photo a accru ma motivation : peut-être qu’au lieu des matches de football, il me faudra couvrir les Robocops en pleine action…
Yasuyoshi Chiba est reporter photographe au bureau de l'AFP à Rio.