Rare beauté dans la dévastation

(AFP / Philippe Lopez)

TOLOSA (Philippines), 22 nov. 2013 – Mon collègue Jason Gutierrez et moi revenions d’un reportage sur les communautés de pêcheurs ayant tout perdu après le passage du typhon Haiyan sur l’île de Leyte, aux Philippines, quand nous avons croisé le chemin de cette petite procession religieuse dans le village de Tolosa.

Le temps est très orageux à cette époque de l’année aux Philippines. Alors que nous roulions sur le chemin de retour vers Tacloban, des nuages ont commencé à se former devant le soleil déclinant. Le long de cette route, les habitants avaient allumé des feux pour brûler les débris laissés par le typhon, provoquant une brume blanche éparse. Le paysage dévasté est devenu pour quelques instants d’une rare beauté.

C’est à ce moment précis que sur la route, en face de nous, a surgi ce groupe de huit ou dix femmes et enfants qui marchaient en récitant des prières et en portant des icônes. Cette procession, probablement improvisée, mais bien ordonnée, contrastait fortement avec le chaos ambiant. Nous l’avons dépassée, puis nous avons fait demi-tour pour être placés en amont de la marche. Je suis descendu du véhicule pour me rapprocher rapidement du groupe, car je savais que ce moment n’allait pas durer.

A cause de la fumée qui montait des ruines, le ciel se confondait avec la terre. Je me suis donc positionné en contre-jour pour tirer parti de la lumière qui était diffusée par les nuages et par la fumée. J’ai choisi une profondeur de champ très réduite, et cadré cette femme au premier plan, afin qu’elle se détache nettement du fond. J’ai dû courir à côté du groupe pour pouvoir la cadrer de profil et voir son visage, tout en maintenant le soleil hors-champ.

Arbres brisés par le typhon à Tolosa, au crépuscule du 18 novembre 2013 (AFP / Philippe Lopez)

En reportage, les photographes ne maîtrisent pas leur environnement. De nombreux éléments doivent être réunis et certains d’entre eux échappent complètement au contrôle du photographe. Pour prendre cette image, au-delà de l’aspect technique, il a fallu que ces femmes apparaissent sous mes yeux à ce moment précis, sous cette lumière si particulière.

Cette image a fait la une de très nombreux journaux dans le monde entier. J’ai aussi appris à mon retour qu’elle est l’une des photos AFP les plus partagées de tous les temps sur les réseaux sociaux. Je suis heureux qu’elle ait touché autant de gens et qu’elle ait sensibilisé un peu plus l’opinion à cette tragédie. Cet exemple particulier rappelle aussi le travail des autres photographes et journalistes présents sur les lieux, dans des conditions difficiles, relatées sur ce blog par ma collègue Agnès Bun.

Nous n’avons jamais su exactement le motif de cette procession au milieu des ruines. Il aurait été impoli de l’interrompre pour demander. Les processions sont courantes aux Philippines, où 80% de la population est catholique. Après une tragédie, m’explique Jason Gutierrez, il est fréquent de voir des villageois se rassembler pour prier pour ceux qui sont morts, et remercier Dieu pour ceux qui ont survécu. La Vierge Marie et Sto Nino, l’enfant Jésus, sont particulièrement populaires à Leyte et dans beaucoup d’autres régions du pays, car les prières qui leur sont adressées ont la réputation d’être rapidement exaucées.

Des survivants du typhon Haiyan en procession à Tolosa, aux Philippines, le 18 novembre 2013 (AFP / Philippe Lopez)

Philippe Lopez est photojournaliste à l'AFP Hong Kong.

MISE A JOUR : le 14 février 2014, l'image de Philippe Lopez a été couronnée par le premier prix dans la catégorie « spot news single » du concours mondial de photojournalisme World Press Photo.

Philippe Lopez