Mon portrait de Deneuve, un parcours du combattant
PARIS, 17 oct. 2013 - Catherine Deneuve. Ah! Catherine Deneuve... Des années que je rêve de faire un portrait d'elle. Déjà en 1996, jeune CDD à l'AFP, j'avais eu l'occasion de m'essayer à l'exercice, à partir de lectures et de documents glanés ici ou là.
Mais là je tenais à faire un portrait plus fouillé, en la rencontrant, en lui posant directement toutes les questions emmagasinées dans ma tête. Je connais bien son parcours, j'ai lu 103.277 interviews d'elle, j'ai vu la quasi-totalité de ses 120 films...
En Deneuvophile averti – «Deneuvolâtre» me taquinent certains amis-, je sais que l'actrice fête en 2013 ses 70 ans. Le 22 octobre précisément. L'occasion rêvée de lui consacrer un portrait.
Nous sommes en mai 2013. Son dernier film – «Elle s'en va», un road-movie signé Emmanuelle Bercot- va sortir mi-septembre sur les écrans. Je veux donc devancer tout le monde... Je me lance. Deneuve a pour agent Bertrand de Labbey, d'Artmedia. J'envoie donc un courriel à Maryse, l'attachée de presse qui s'occupe de l'actrice. J'explique mon projet en quelques lignes. Et pas d'impair: je précise bien que j'aimerais rencontrer «Mademoiselle Catherine Deneuve» (elle tient beaucoup au «Mademoiselle»...) afin d'enrichir mon portrait.
La réponse tombe très vite. Le soir même. Et c'est la douche froide. «Nous avons transmis votre demande à Mademoiselle Catherine Deneuve. Elle ne souhaite pas y donner suite».
Qu'à cela ne tienne. J'appelle dès le lendemain l'attachée de presse, en espérant plaider ma cause. «Je suis vraiment déçu de la réponse de Mlle Deneuve. Vous savez pourquoi elle refuse?». «Mais monsieur, me répond une voix glaciale, on n'a pas à vous donner de raison. C'est sa décision. Point!» J'embraie avec un petit sourire dans la voix, pour essayer de détendre l'atmosphère... Je tente une petite plaisanterie du genre: «Oh vous savez, moi, si on me ferme la porte, je passe par la fenêtre!». Mais je vois vite que ce n'est pas la peine d'insister.
Je suis déçu et vexé à la fois. D'autant qu'un mois plus tôt, j'ai déjà connu pareille mésaventure pour le portrait de Jean-Paul Belmondo. "Non, non, M. Belmondo ne souhaite pas donner d'interview". Avant de m'apercevoir qu'il a dit oui à Paris-Match et à l'émission "Vivement dimanche" de Michel Drucker.
Une amie qui connaît bien le milieu du cinéma m'avait pourtant prévenu: «l'AFP n'intéresse pas vraiment les acteurs et les réalisateurs pour ce genre d'exercice. Pour eux, l'AFP, c'est un média qui annonce les tournages de films, les récompenses ou encore les décès d'artistes. Les interviews, ils les veulent avec tel canard, telle radio, telle chaîne de télé».
Après 13 années passées au service politique de l'AFP, quel changement! J'ai pu accéder aux présidents, aux Premiers ministres, aux chefs de partis... Les politiques, il faut plutôt les réfréner, voire parfois les tenir à distance. Et là, avec ce monde que je découvre, je n'ai pas encore les codes...
Et pourtant, Catherine Deneuve, j'ai tellement de choses à lui demander. Et pas les sempiternelles questions sur sa beauté glaciale, sur la prise de risques de cette «grande dame» du cinéma avec des jeunes réalisateurs qui la «réinventent» totalement.
J'aimerais lui parler de sa famille, une véritable dynastie de comédiens. Le père, Maurice Dorléac, a fait du cinéma, du théâtre et du doublage (la voix française de l'acteur américain Alan Ladd, c'est lui). La mère, Renée Deneuve, qui vient de souffler ses 102 bougies, a été doyenne de l'Odéon sous le nom de Renée Simonot et a, elle, prêté sa voix à Olivia de Havilland et Judy Garland. Antoinette, la grand-mère maternelle, était déjà souffleuse au théâtre. Sans oublier la sœur aînée, la sémillante Françoise Dorléac, disparue tragiquement à 25 ans peu après que les deux «jumelles nées sous le signe des Gémeaux» eurent été réunies dans l'inoubliable «Les Demoiselles de Rochefort».
Et la dynastie se poursuit, avec ses deux enfants, Christian Vadim et Chiara Mastroianni, eux aussi devenus acteurs. J'aimerais d'ailleurs demander à Catherine Deneuve pourquoi, avec un tel «atavisme», elle a toujours catégoriquement refusé, elle, de monter sur les planches.
Par ailleurs, elle si discrète -secrète même- sur sa vie, j'aimerais la faire parler de ses engagements. Le féminisme d'abord. Avec Simone de Beauvoir, Françoise Fabian, Bernadette Lafont, Jeanne Moreau, Nadine Trintignant et Gisèle Halimi, entre autres, elle a signé en 1971 une pétition pour la légalisation de l'avortement, rebaptisée par Charlie Hebdo manifeste des «343 salopes». Immortalisée en Marianne en 1985, elle s'est aussi engagée contre la peine de mort, dans la lutte contre le sida, elle a défilé contre la junte argentine...
Nouveau coup de Trafalgar quelques jours plus tard quand je tombe par hasard, sur le site internet du Point, sur un papier consacré à la mère de Catherine Deneuve: «Renée Dorléac ou la traversée du siècle». Une femme dont Deneuve dit souvent qu'elle lui «donne une image réconfortante de la vieillesse».
Cet entretien, cela fait des années que je voulais le faire! Je sais même où Mme Dorléac habite dans le XVIe arrondissement de Paris, à deux pas de la Porte de Saint-Cloud et de la Seine. Mais je n'ai jamais osé faire la démarche, eu égard à son âge.
Très gentiment, l'auteur du papier, Jean-Noël Mirande, accepte de me donner les coordonnées de Delphine, petite-fille de Mme Dorléac et nièce de Catherine Deneuve. C'est elle qui lui a arrangé le rendez-vous.
Nouveau courriel. Demande de rencontre. Et là encore, c'est niet. «Merci pour cet intérêt», me répond Delphine, «mais je vais malheureusement décliner. J'ai accepté que Jean-Noël rencontre ma grand-mère par amitié et nous avons été très heureux du résultat mais nous ne réitérons pas. Une fois suffit».
Catherine Deneuve et le buste de Marianne à son effigie sculpté par Mireille Polska en 1985
(AFP / Jean-Loup Gautreau)
Très honnêtement, malgré la déception et une pointe de jalousie, cette réponse ne m'étonne pas... Je comprends parfaitement qu'une dame de plus de 100 ans n'ait pas envie d'être importunée par un journaliste.
Pas la peine de m'apitoyer sur mon sort. Je me dis que je peux faire mon portrait à partir du regard que portent les réalisateurs et les acteurs qui ont tourné avec elle ces 50 dernières années...
J'imagine d'avance que les réponses négatives vont être nombreuses. Je «ratisse» donc large. Je lance ma demande d'entretien auprès d'une quinzaine de réalisateurs, dont Régis Wargnier, Nicole Garcia, André Téchiné, Benoît Jacquot, Roman Polanski, François Ozon et Nadine Trintignant.
Même démarchage tous azimuts des acteurs, une bonne quinzaine au total. Parmi eux, Emmanuelle Devos, Daniel Auteuil, Fabrice Luchini, André Dussolier, Danielle Darrieux, Alain Delon et Brigitte Bardot.
Près de 30 demandes d'entretien en tout ! Si j'ai anticipé des refus, je ne m'attendais pas à autant de non-réponses. Certaines attachées de presse sont carrément aux abonnés absents.
Ma plus grosse déception vient de Téchiné. Le cinéaste me paraît incontournable pour un portrait consacré à Deneuve. Depuis «Hôtel des Amériques» en 1981 avec Patrick Dewaere, il a en effet tourné sept films (sur vingt) avec son actrice fétiche. Il dit d'ailleurs que «son visage», il «le filmerait comme ça, simplement, durant des heures». On se souvient du «Lieu du crime», un beau film avec Danielle Darrieux et Wadeck Stanczak. Et Téchiné vient d'achever avec elle le tournage de «L'Homme que l'on aimait trop», un drame inspiré de l'affaire Agnès Le Roux.
N'ayant aucune réponse de son agence, je me permets de l'appeler directement au téléphone. Echanges courtois jusqu'à ce que je lui dise que j'écris sur Catherine Deneuve. J'aimerais qu'il m'explique pourquoi il l'a choisie si souvent dans ses films et ce que représente son travail d'actrice à ses yeux.
Catherine Deneuve et son fils, Christian Vadim, à la remise du César de la meilleure actrice à Sabine Azema en 1985 à Paris
(AFP / Verdy / Gautreau)
«Non, non, c'est trop personnel ! », me stoppe-t-il tout net. Avant d'ajouter, alors que je le relance, «N'insistez pas» et de raccrocher.
Le festival de «râteaux» se poursuit. Pas possible de joindre le réalisateur d'«Indochine » -«Régis Wargnier vous remercie pour cette demande mais il n'est pas en France et ce ne sera donc pas possible pour lui. Il en est désolé»- ni Emmanuelle Devos, partenaire de Catherine Deneuve dans «Rois et reine» et «Un conte de Noël » notamment: «Emmanuelle vous remercie sincèrement, malheureusement ce ne sera pas possible pour cette fois». Le lendemain, je tombe pourtant sur une interview de Devos où elle évoque son admiration pour Deneuve...
Pour Alain Delon, je ne me faisais guère d'illusions. D'autant que, dans la presse, Deneuve vient de balancer contre son ancien partenaire du film «Le Choc» qui, dit-elle, «ne doute de rien» et «se croit détenteur de la vérité». Très gentiment, son attachée de presse m'informe que «la demande est bien transmise». «J'ai quand même un doute», ajoute-t-elle avec franchise. «Disons que c'est en stand-by car il joue actuellement à l'étranger» (ndlr : «Une journée ordinaire» à Genève).
Du côté de Brigitte Bardot, qui a précédé Deneuve dans le cœur de Roger Vadim, la réponse tombe très vite, via le responsable de la communication de sa fondation pour la défense des animaux. Sans ambages. «Je suis désolé mais Catherine Deneuve faisant l'apologie de la fourrure, Madame Bardot ne souhaite pas répondre. Ce sera pour une prochaine fois!». Je ne vois pas trop en quoi la réponse pourrait être différente «une prochaine fois» mais bon...
Au téléphone, l'ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand -qui a adressé une belle déclaration d'amour à Catherine Deneuve dans son livre «La Mauvaise vie»- semble partant et me promet qu'il me rappellera vite pour me parler de l'actrice. «Mais vous ne trouverez personne pour vous dire du mal de Catherine!». «Mon intention n'est pas d'écrire un portrait pour dire du mal d'elle...», réponds-je. J'attends toujours son coup de fil...
Un jour de septembre, je croise dans un restaurant parisien Pierre Lescure, l'ancien PDG de Canal+, qui a partagé la vie de Catherine Deneuve dans les années 80. L'an dernier, j'ai lu ses mémoires «In the baba», où il rend un hommage appuyé à son ex-compagne, qu'il juge «drôle, brillante et courageuse à tous égards».
Il y raconte notamment cette anecdote savoureuse: alors qu'ils sont attablés dans un salon de thé parisien, deux dames âgées les dévisagent et s'interrogent sur le couple, avec des commentaires très douteux sur le «nez juif» de Lescure. En sortant, Catherine Deneuve leur assène calmement: «Je voulais vous dire, mesdames, son nez pourrait être juif, il m'irait très bien. En l'occurrence, il est bourbonien et je vous emmerde». Laissant les deux dames au bord de l'apoplexie.
J'aborde donc Pierre Lescure et lui demande s'il accepterait de me parler de Catherine Deneuve. «Non», me dit-il avec un sourire, «mais souhaitez-lui un joyeux anniversaire!»
Il faut que je sois juste. Ce travail de longue haleine m'a réservé aussi de belles surprises. Nadine Trintignant notamment! Je trouve son adresse mail dans le Who's who et lui écris aussitôt. Le surlendemain, une dame me téléphone. C'est elle. «Oui je suis d'accord pour vous parler de Catherine». Je bafouille, je dis que je suis ravi, lui propose de l'interroger par téléphone. «Mais vous ne voulez pas me voir?». Mais si, bien sûr que je veux bien la voir, je ne veux juste pas abuser de son temps. «Où souhaitez-vous que nous nous rencontrions? » «Mais passez chez moi», me dit-elle tout gentiment.
Je débarque donc quelques jours plus tard chez elle, quelque peu impressionné, au rez-de-chaussée d'un très bel hôtel particulier du Marais. Dans cet intérieur aux décors asiatiques, elle me reçoit, lunettes fumées, pendant une bonne heure. «Vous savez, c'est un cadeau, Catherine, dans un film. Et dans la vie, elle est attachante. On a beaucoup parlé d'amour toutes les deux», me confie Nadine Trintignant, en se remémorant le réconfort que lui a apporté Catherine Deneuve lors de la mort de sa fille Marie, en 2003. «C'est elle qui m'a dit de prendre un chat». Elle ajoute en souriant que «Catherine n'a pas dû apprécier que je soutienne Nicolas Sarkozy» à la présidentielle de 2012.
Autre joli souvenir, cette rencontre téléphonique avec Danielle Darrieux, une autre grande dame du cinéma français. Elle a joué avec Catherine Deneuve dès 1960, dans «L'Homme à femmes». Elle a ensuite incarné sa mère dans «Les Demoiselles de Rochefort», «Le Lieu du crime» et «Huit femmes».
«Je l'ai vue pousser. Catherine Deneuve est l'image de la beauté même au cinéma et n'est pas du tout bruyante dans le succès», confie d'une jolie voix chevrotante Danielle Darrieux qui, à 96 ans, vit désormais dans l'Eure, à deux pas de la maison de campagne de Deneuve. Je me permets de lui souhaiter une longue vie, elle me lance un délicieux «je vous embrasse!»
Avec Agnès Varda, la veuve de Jacques Demy, le cinéaste («Les Parapluies de Cherbourg», «Les Demoiselles de Rochefort», «Peau d'âne»...) sans qui Deneuve ne serait peut-être pas devenue Deneuve, on n'est pas vraiment dans le même registre. «Vous voulez qu'on parle de quoi à propos de Catherine Deneuve? Les dépêches à l'AFP, c'est court non? J'aurai cinq lignes, dix lignes?» Là, c'est moi qui ai envie de raccrocher.
Et puis il y a Fabrice Luchini. Quel numéro ce Luchini... Je lui laisse un message sur son téléphone portable. Il me rappelle cinq minutes plus tard. «Allôoooooo, c'est Luchini ! J'ai pas beaucoup de temps, je suis en plein tournage...». «Quand on tourne avec Deneuve, il y a quelque chose qui est unique et ne ressemble à personne. Elle est d'une grande loyauté. Il n'y a aucune chichiterie, c'est une actrice avec laquelle vous êtes sans baratin», explique son partenaire de «Potiche».
Et sinon, ah oui, j'oubliais... En septembre, ne me résolvant pas à rester sans réponse de Catherine Deneuve, je décide de lui écrire directement, chez elle. Oui, je sais où elle habite et, c'est vrai, à chaque fois que je passe place Saint-Sulpice, je jette un coup d'œil en direction de son appartement.
Une lettre manuscrite. J'ai envie de lui dire «je pourrais faire 10.000 mots sur vous!» (NB : les «gros» papiers de l'AFP tournent autour de 800 mots...). Plus sobrement, je lui réitère ma demande et joins à mon courrier le portrait que je lui ai consacré il y a une vingtaine d'années pour l'AFP ainsi que quelques portraits d'autres célébrités que j'ai écrits récemment (Jean-Paul Belmondo, Kim Novak, Kirk Douglas, Joan Collins...)
A ce jour, je n'ai pas encore eu de réponse. Une forteresse. Mais je ne désespère pas qu'un jour mon portable sonne: «Allô, c'est Catherine Deneuve».
Frédéric Dumoulin est journaliste à la documentation multimédia de l'AFP à Paris.