Transe et torture au festival végétarien
PHUKET (Thaïlande), 10 oct. 2013 (AFP) – Se transpercer les joues avec le canon d’un revolver de gros calibre, une lance, une clé à molette ou même un pot d’échappement n’est pas vraiment le comportement qu’on attend de la part d’un végétarien. Mais pour les participants au célèbre «festival végétarien» de Phuket, en Thaïlande, c’est le comble de la dévotion.
Pendant neuf jours, des centaines de pénitents taoïstes se torturent de la pire façon et, ensanglantés et en transe, défilent dans les rues de Phuket sous une pluie assourdissante de pétards. Il s’agit pour eux de se purifier, de porter le poids des péchés de la communauté.
AFP / Christophe Archambault
J’ai pris ces images au temple taoïste chinois Bang Neow. Au nombre d’une centaine, les dévots, qui se sont abstenus de manger de la viande pendant plusieurs mois avant le festival, déboulent en transe et en poussant des cris vers des autels à l’intérieur du temple, où des camarades bienveillants les calment avant de les conduire dans la cour du supplice.
Commence alors un spectacle hallucinant. Un par un, les pénitents prennent place sur des chaises en plastique, où leurs assistants leur transpercent les joues ou la peau des bras pour y insérer toute sorte d’objets : des sabres, des lances, des fusils, des pieds de parasol... Le tout sans anesthésie, bien sûr. Quand on les voit de près, on sent que les martyrs ont horriblement mal. Ils gémissent, leur visage se contracte dans d’atroces grimaces… Le sang gicle de partout.
AFP / Christophe Archambault
Les tortionnaires portent des gants en caoutchouc qu’ils changent après le passage de chaque «victime» mais à part ça, l’hygiène est complètement inexistante. Chaque « opération » est assez rapide. Les dévots se succèdent sur la chaise de torture à un rythme effréné. On voit, à leurs cicatrices, que beaucoup sont des habitués.
Prendre des photos dans ces conditions peut s’avérer dangereux. Dans la cour, qui n’est pas très grande, chaque pénitent est entouré d’une nuée de photographes professionnels et amateurs, de simples curieux… C’est la cohue. Il faut faire attention à ce qui se passe dans son dos. On a vite fait, quand on est accroupi face à un pénitent et concentré sur sa prise de vue, de se faire piquer par un bout de lance dont l’autre extrémité est en train d’être introduite dans la joue d’un végétarien en transe à quelques mètres de là… Les pénitents, dans un état second, semblent ne rien voir de ce qui se passe autour d’eux. En même temps, on est en Thaïlande: il n’y a aucune agressivité dans cette foule, les gens sourient, tout se déroule de façon bon-enfant, si j’ose dire…
AFP / Christophe Archambault
Débute ensuite la procession dans la ville, qui dure environ une heure et demie sous une chaleur accablante. Des milliers de personnes, pour la plupart vêtues de blanc, y assistent.
Les suppliciés défilent entourés de leurs assistants qui, munis de rouleaux de papier toilette, épongent le sang qui coule de leurs plaies. D’autres processionnaires portent des idoles sur des palanquins. Le public leur balance des pétards dont la taille fait plutôt penser à des bâtons de dynamite. Des dizaines de milliers de ces pétards explosent partout, devant, derrière… Certains utilisent même des espèces de cannes à pêche à l’aide desquelles ils balancent des pétards accrochés à un fil pour qu’ils éclatent au plus près du palanquin. Quand on rentre au temple, à la fin de la procession, on patauge dans une épaisse couche de papier calciné...
AFP / Christophe Archambault
C’est tonitruant, c’est irrespirable. On est en nage, on a les cheveux infestés de morceaux de pétards explosés, on sent la poudre. Les boules Quiès sont indispensables si on ne veut pas sortir de là complètement sourd. Le masque à gaz et les grosses lunettes, type masque de plongée, sont également des équipements plus que bienvenus pour couvrir cet événement mais malheureusement, cette année, j’avais oublié les miens à Bangkok…
Le côté végétarien n’est pas du tout présent pendant ces célébrations. Mais les participants doivent, pendant toute la durée du festival, suivre un régime sans viande strict et éviter tout vice. Les femmes enceintes, considérées comme impures, n’ont pas le droit d’assister aux rituels.
AFP / Christophe Archambault
Christophe Archambault est le chef de la photo au bureau de l'AFP à Bangkok. Sa série complète sur le Festival végétarien de Phuket peut être visualisée sur la base de données Imageforum.