Souvenirs du Tour (1) : interviews sous la douche
Le Tour de France qui démarre le 29 juin en Corse fête, cette année, sa 100ème édition. Jean Montois, correspondant cycliste de l'AFP, a couvert les trente dernières, sans jamais rater une étape. Il a été le témoin privilégié des profondes transformations du cyclisme, depuis courses bon enfant des années 1980 jusqu'aux grands scandales de dopage des décennies suivantes, et de celles non moins profondes du journalisme sportif pendant la même période.
Pendant une dizaine de jours, il raconte quotidiennement pour le blog AFP Making-of une anecdote marquante de sa longue expérience sur la Grande boucle.
PARIS, 20 juin 2013 – Parmi tous les moments forts de la couverture du Tour, le plus symbolique, celui dont on se souvient nécessairement, celui qui vous marque le plus, c’est forcément le premier.
Pour moi c’était en 1983. J’ai couvert trente grandes boucles depuis et ce qui me frappe quand je me souviens de cette première fois, ce sont tous les changements intervenus, depuis, dans notre façon de travailler.
A l’époque, la couverture du Tour par l’AFP était très tournée vers la presse quotidienne régionale française. Les grands journaux de province payaient un supplément qui leur donnait droit à un service spécial. Et ce service, bien évidemment, on s’efforçait de le soigner.
Dès 1982, on avait mis en place un système d’interviews de tous les coureurs français à la fin de chaque étape: tous les jours, il fallait recueillir leurs réactions à tous, sans exception. Ils étaient plus d’une cinquantaine, et j’étais seul pour le faire!
Le problème, c’était que tout ça était très répétitif. Chaque coureur racontait sa journée et le plus souvent, cela se résumait à une succession de plaintes : «je suis tombé», «je me suis fait mal», «je suis malade», «ça va un peu mieux qu’hier» ou bien, plus souvent: «ça va encore plus mal»… C’était la vie du peloton au ras du bitume. Au final, je me retrouvais avec une quinzaine de feuillets qu’il fallait dicter à une sténo à Paris. Pour cela, je squattais une cabine téléphonique. Il y en avait chaque jour pour une heure et demie de dictée à la volée (une heure à la fin du Tour, grâce aux abandons).
Evidemment, il était impossible d’interviewer cinquante ou soixante cyclistes sur la ligne d’arrivée de l’étape. Alors, j’allais dans les hôtels. Je montais directement dans les chambres des coureurs, je frappais et j’entrais. Je les trouvais en train de se faire masser, de se reposer. Je posais mes questions et les gars me répondaient, parfois tout en prenant leur douche! Ca ne les dérangeait pas, je les voyais tous les jours, j’avais des liens assez forts avec eux.
C’était un défi quotidien complètement insensé. Heureusement, le chauffeur d’une des deux voitures de l’AFP qui suivait le tour était un passionné de vélo qui me donnait un coup de main fort appréciable. On se partageait les interviews. On se serrait les coudes. Sans lui, la tâche aurait été impossible, ou au mieux j’aurais terminé tous les jours à onze heures du soir.
Ça montre bien la façon dont le métier a changé, dont le cyclisme a changé. Aujourd’hui il n’est bien sûr plus question de se faire aider par son chauffeur pour interviewer des sportifs. Et il est hors de question de se promener librement dans les hôtels des coureurs et de les surprendre sous la douche.
1983, c’est également l’année du dernier accident d’une voiture de l’AFP sur le Tour. Cela s’est passé dans la descente du col du Granier, dans les Alpes. Un coureur a fait un écart juste devant la voiture et, pour l’éviter, le chauffeur n’a eu d’autre possibilité que de se jeter dans le fossé. La voiture a terminé sur le toit. On a eu une sacrée chance, personne n’a été blessé. Cela montre les risques que prennent les chauffeurs en course ainsi que les motards, toujours au cœur de l’action.
Jean MONTOIS
Une dépêche sur le Tour telle qu'elle était reçue par les clients de l'AFP sur leurs téléscripteurs en 1983.