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Gaza: en première ligne, en famille

GAZA, 4 décembre 2012 - Les bombardements, les raids aériens et leur lot de victimes font partie de la vie courante à Gaza. Pour l’équipe de l’AFP dans l’enclave palestinienne, des hostilités comme celles qui se sont produites mi-novembre avec Israël n’avaient donc, a priori, rien de très nouveau.

Et pourtant, couvrir ce énième cycle de violence a été dur. Les frappes israéliennes ont touché des quartiers d’affaires et résidentiels considérés, auparavant, comme relativement sûrs. Les personnels de l’AFP et leurs familles ont été exposés à des risques inhabituellement élevés.

"Cette guerre était vraiment très, très dangereuse", raconte Adel Zaanoun, 41 ans, dont dix-neuf à l’AFP. "La guerre précédente avait duré vingt-deux jours. On avait dénombré 2.000 frappes, soit autant que cette fois-ci en à peine plus d’une semaine".

Les "guerres", dans le vocabulaire courant à Gaza, ce sont les combats qui éclatent périodiquement avec Israël. L'opération "Pilier de défense" qui s’est terminée le 21 novembre a duré huit jours et a fait 174 tués, dont une centaine de civils. Six Israéliens, dont quatre civils, ont été tués. La précédente opération, "Plomb Durci", une offensive aérienne et terrestre dévastatrice de 22 jours fin 2008 et début 2009, avait fait 1.440 morts côté palestinien et 13 tués israéliens, selon les deux camps.

Une frappe israélienne sur Gaza le 21 novembre 2012 (AFP / Mahmoud Hams)

Mais interrogez les journalistes palestiniens de l’AFP basés à Gaza (trois correspondants texte, trois photographes et un reporter vidéo), et ils vous affirmeront qu’ils se sont sentis beaucoup plus menacés cette fois-ci.

Les raids aériens ont ciblé particulièrement la ville de Gaza et le nord du territoire, à savoir les endroits où la plupart de ces correspondants habitent.

Quand, le 14 novembre, Israël a assassiné le chef militaire du Hamas Ahmad Jaabari, "tout le monde a su que ça allait être la guerre", explique Adel Zaanoun. "Une ligne rouge avait été franchie".

Mahmoud Hams, un photographe de 32 ans, a aussitôt envoyé sa famille chez ses beaux-parents dans le sud du territoire. Lui-même a quitté sa maison du quartier de Tall al-Hawa pour s’installer dans les bureaux de l’AFP à Rimal, un quartier du centre-ville.

En voiture, la crainte d'être pris pour cible

"Pendant la guerre précédente, Rimal était un endroit sûr", explique-t-il. "Mais cette fois, le quartier a été touché de nombreuses fois", y compris l'immeuble du bureau de l'AFP.

Pendant la journée, chacun se sentait suffisamment en sécurité pour rester au bureau. Mais une fois la nuit tombée, il devenait extrêmement dangereux de rentrer chez soi. Et pourtant, avec un rythme de travail aussi frénétique, partir du bureau avant le coucher du soleil n’était pas chose facile.

"Quand nous quittions le bureau, vers 17H00, il faisait déjà noir. Les rues étaient désertes. Nous avions peur. Toute personne circulant en ville constituait une cible potentielle", raconte Sakher Abou El-Oun, 47 ans, correspondant de l’AFP à Gaza depuis bientôt 25 ans.

Après un raid israélien sur la ville de Gaza, le 14 novembre 2012 (AFP / Hosam Salem)

"Chaque fois qu’on prenait sa voiture, on pensait qu’on pouvait être visé par une frappe. Je conduisais vraiment très, très vite", se rappelle Mahmoud Hams.

Adel Zaanoun, lui, avait opté pour la tactique inverse: "Le deuxième jour, j’ai quitté le bureau à 23H00. J’ai allumé toutes les lumières à bord de la voiture. Comme ça, tout le monde me voyait. J’ai baissé les vitres et j’ai roulé à 20 ou 30 km/h". Baisser les vitres pour éviter d’être blessé par des éclats de verre au cas où un obus ou un missile tomberait à proximité.

Adel Zaanoun a perdu un parent, tué le 17 novembre dans une frappe aérienne sur le quartier de Zeïtoun, alors qu'il roulait à bicyclette à proximité d'un champ.

En dehors des dangers inhérents aux déplacements, les risques pour les journalistes ont franchi un palier le dimanche 18 novembre, quand l'aviation israélienne a frappé deux immeubles abritant des médias locaux et internationaux à Rimal. Huit journalistes ont été blessés. L'armée israélienne a affirmé que le raid visait des antennes du Hamas installées sur le toit.

"Quand ils ont attaqué l’immeuble Chawa et Houssari le dimanche à l’aube, nous nous sommes tous précipités sur place. Le premier missile a frappé les bureaux d’Al-Quds et tout le monde est parti couvrir ça. Nous étions une vingtaine de journalistes, principalement des photographes et des cameramen", témoigne Mahmoud Hams. Al-Quds est une chaîne de TV proche du Hamas, le mouvement islamiste au pouvoir à Gaza.

"Nous sommes entrés par la porte principale et moins d’une minute plus tard, deux nouveaux missiles ont touché l’immeuble. Les vitres ont volé en éclats. Une pluie de tessons de verre a arrosé le sol".

Après un raid israélien contre un immeuble de Gaza abritant des médias palestiniens et étrangers à Gaza, le 19 novembre 2012 (AFP / Mahmoud Hams)

Deux jours plus tard, dans la soirée du 20 novembre, un drone israélien tirait deux missiles sur l’immeuble de Rimal qui abrite les locaux de l’AFP. Plusieurs bureaux situés deux étages au-dessus du nôtre ont été endommagés.

Selon l’armée israélienne, la cible du raid était une cache des services du renseignement du Hamas. Mahmoud Hams était encore au bureau à ce moment-là. Indemne, quoique choqué, il a dû trouver rapidement un autre endroit pour se loger.

Seize heures plus tard, le bâtiment était à nouveau la cible d'une attaque qui provoquait, selon des témoins, la mort d'un enfant dans un immeuble mitoyen.

A Gaza, il n’y a pas de sirènes, pas d’abri anti-aérien, pas d’endroit sûr où se cacher. Quand un missile est tiré par un F16 ou par un drone, il atteint sa cible presque immédiatement, explique Maï Yaghi, une journaliste de 29 ans qui travaille pour l’AFP depuis cinq ans. "On n’a le temps de courir nulle part. On entend le tir du missile et ensuite l’explosion est une affaire de secondes".

Sang d'encre

Maï Yaghi, qui est enceinte de huit mois, habite un immeuble de douze étages dans le quartier de Nasser, pas très loin de deux terrains d’entraînement de groupes paramilitaires. Tous ses voisins ont rapidement quitté le bâtiment, quand ce n'est pas la ville.

"Un jour, je me suis réveillée pour prendre la relève à 05H00. Mon frère dormait sur le canapé. J’ai entendu un tir de missile et j’ai vu la traînée de flammes passer devant ma fenêtre. Je n’ai même pas eu le temps de crier. J’ai cru que le missile allait s’abattre sur nous et j’ai pensé que mon frère allait mourir paisiblement dans son sommeil. Il a explosé très près, à environ 200 mètres".

Le plus dur était de réussir à assurer une couverture non-stop, exténuante, stressante, tout en se faisant un sang d’encre pour ses proches. Une fois à la maison, les nuits étaient souvent blanches. L'impact des frappes aériennes terrorisait les enfants et empêchait tout le monde de dormir.

La nuit, pendant l'offensive israélienne sur Gaza (photo: AFP)

"Ma fille me disait parfois: non, je n’ai pas peur", dit Maï Yaghi. Sa petite Yara, cinq ans, passait parfois des heures à regarder des épisodes de Mr Bean sur YouTube. "Une fois, elle a éclaté d’un fou rire hystérique en criant: 'C’est un ballon qui a explosé dans le ciel !'. J’essaye de lui parler, mais elle me répond toujours qu’elle n’a pas peur. J’aimerais savoir comment l’aider".

Pendant les attaques sur Gaza, d’autres familles se sont blotties dans une même pièce, en prenant garde de s’éloigner le plus possible des fenêtres. "Pendant sept nuits, mes six filles et mon fils ont dormi dans la salle de séjour parce que c’était la seule pièce qui n’avait qu’une seule fenêtre, laquelle restait tout le temps ouverte", souligne Sakher Abou El-Oun, qui vit à Rimal.

"Ils pleuraient. Le petit dernier avait tellement peur qu’il mouillait son lit".

Adel Zaanoun relève que son aîné, Moussa, 12 ans, tenait le coup en passant le plus clair de son temps sur Facebook et Twitter. Mais tel n’était pas le cas de ses deux autres enfants, des jumeaux de 9 ans, Mohammad et Ahmad. "Quand il entendait une bombe, Ahmad s’approchait de sa mère ou de moi et nous demandait: ''Vous avez peur ?''. Mais Mohammad ne disait rien. Il était totalement silencieux".

Après un raid israélien contre un immeuble de la ville de Gaza, le 19 novembre 2012 (AFP / Mahmoud Hams)

Mohammad Abed, 43 ans, vétéran photographe de l’AFP Gaza depuis douze ans, a éprouvé lui aussi cette difficulté à travailler tout en pensant aux risques encourus par sa famille. "On essaye de se concentrer sur son travail et sur ses photos", raconte ce père de six enfants qui habite le quartier de Cheikh Radwane.

"Mais à chaque fois qu’il y a un raid, on appelle pour voir si tout le monde va bien, ou bien ce sont eux qui appellent. On a l’esprit déchiré".

Au bout de deux jours, Mohammad Abed a décidé de toujours rentrer chez lui pour la nuit. "Ils souffraient vraiment", dit-il. Sa femme, son aîné de 18 ans et lui-même s’efforçaient de distraire les plus petits en leur racontant des histoires, en faisant des gâteaux ou en regardant des vidéos.

"J’éteignais la radio, je m’assurais qu’ils ne m’entendaient pas quand j’étais au téléphone. J’essayais de les distraire en leur apportant des chocolats et des bonbons et en leur disant que personne n’était mort, que la guerre serait bientôt finie. En fait, je leur mentais".

Hazel Ward est directrice adjointe du bureau de l'AFP à Jérusalem.

Un vendeur de rue passe devant une maison détruite dans la ville de Gaza, le 27 novembre 2012 (AFP / Patrick Baz)