Les murs qui parlent de guerre et de paix
BOGOTA, 4 février 2016 – J’ai quitté ma ville natale de Bogotá il y a huit ans pour aller travailler à Medellín et le changement qui m’a le plus frappé en revenant faire un tour ici, il y a quelques semaines, c’est la prolifération des graffitis. Les murs de brique sont envahis par les fresques et les pictogrammes en tout genre, à tel point qu’on a l’impression que chaque mur vierge est un mur en sursis.
En ce moment, en Colombie, nous voyons le bout de cinq décennies d’un conflit très complexe qui a fait au moins 220.000 morts, des dizaines de milliers de disparus et six millions de déplacés. La perspective d’un accord entre le gouvernement les Forces armées révolutionnaires de Colombie, la principale guérilla du pays, soulève d’immenses espoirs et inspire naturellement les créateurs. Le processus de paix est devenu incontestablement un des thèmes plus populaires des graffitis, même s’il est loin d’être le seul.
En Colombie comme ailleurs, le débat fait rage pour savoir si ces inscriptions murales sont de l’art ou du vandalisme. Une chose est sûre : la prolifération de Street Art à Bogotá doit beaucoup à Gustavo Petro, un ancien guérillero du M-19 élu maire entre 2012 et 2015, qui a grandement encouragé cette forme d’expression pendant son mandat. Des circuits touristiques dédiés permettent même de découvrir les gigantesques fresques colorées qui longent certaines artères de la ville. Pour l’artiste Toxicómano, connu pour les dessins de visages aux lignes torturées et les slogans engagés qu’il bombe sur les murs de la capitale, « le seul fait de peindre dans la rue est un acte politique ».
J’ai eu envie de réaliser une série d’images sur le Street Art en Colombie, en commençant par les quartiers les plus chauds du centre de la capitale où les graffitis sont partout. Ma photo préférée est celle où l’on voit ces deux colombes surmontées de l’expression « la paix est à nous ! » Elle résume tout. « On va vous voler votre appareil ! » m’avertissaient les passants qui me voyaient prendre des photos dans cette zone où fleurissent la prostitution, les trafics et la petite délinquance. Mais bon, au final, il ne m’est rien arrivé…
J’ai aussi pris des photos Medellín, la deuxième ville de Colombie où je suis basé. Ces villes de province sont celles qui ont été les plus durement frappées par la guerre entre guérillas d’extrême gauche, paramilitaires d’extrême-droite et forces armées ainsi que par les violences dues au trafic de drogue. Mon collègue Luis Robayo, pour sa part, a pris des images de Street Art à Cali, qui reste considérée comme une des villes les plus dangereuses du monde.
Le Street Art à Medellín est assez différent de celui de Bogotá, qui en comparaison a été relativement épargnée par le conflit. Dans cette ville qui fut le fief du baron de la drogue Pablo Escobar, beaucoup de fresques rappellent les heures les plus sombres des années 1980 et 1990. Elles sont particulièrement nombreuses dans le quartier défavorisé de Comuna 13. Certaines évoquent la célèbre « Opération Orion » d’octobre 2002, un raid de l’armée et de la police colombienne contre la guérilla et les paramilitaires qui s’était soldé par des dizaines d’exécutions sommaires et de disparitions de civils. L’an dernier, des fouilles ont commencé dans la décharge de La Escombrera, dont on soupçonne qu’elle contiendrait un des plus grands charniers de Colombie.
Dans ces rues qui furent autrefois un champ de bataille, le Street Art rappelle les souffrances passées, les massacres, la résistance. Mais il reprend aussi à toutes les sauces le mot qui nous fait tant rêver, nous les Colombiens : le mot « paix », synonyme d’un avenir enfin accessible.
Raúl Arboleda est un photographe de l’AFP basé à Medellín. Suivez-le sur Twitter (@RAULARBOLEDA). Ce texte a été édité et traduit de l'espagnol par Roland de Courson à Paris (lire la version originale).