Le Canal Hotel de Bagdad, le 19 août 2003 (à gauche) et le 17 août 2013 (photos: AFP / Rob Gauthier / Sabah Arar)

Le « 11 septembre de l’ONU »

BAGDAD, 19 août 2013 – Le 19 août 2003, un énorme attentat au camion piégé pulvérise le Canal Hotel, qui héberge les bureaux de l’ONU à Bagdad. Vingt-deux personnes sont tuées, dont l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU en Irak, le Brésilien Sergio Vieira de Mello.

L’épaisse colonne de fumée noire, les morts et les hurlements des blessés ne sont maintenant que des souvenirs vieux de dix ans. Mais le Canal Hotel, lui, est resté en l’état. Ses ruines sont le témoin d’un jour d’horreur et de destruction qui marquera le début d’un long cycle de violence extrême.

Pour visiter ce qui reste de l’hôtel, il faut comme souvent en Irak présenter sa carte de presse et une autorisation officielle aux forces de sécurité, ce qui n’empêche pas ces dernières de ne vous laisser passer qu’au terme de laborieuses négociations, quand elles ne vous barrent pas définitivement la route. Munis de tous les sésames nécessaires, nous réussissons à franchir les obstacles, et nous entrons sur le site.

Après l'attentat contre le Canal Hotel de Bagdad, le 19 août 2013 (photo: AFP / Sabah Arar)

Les dégâts sont incroyables.

Un coin de l’hôtel a disparu comme s’il avait été écrasé par un coup de marteau géant. Des étages se sont effondrés, les planchers déchiquetés jaillissent du bâtiment. Les barres d’acier employées pour renforcer le béton se tordent lamentablement dans tous les sens, comme des vignes mortes.

Un casque bleu des Nations unies traîne encore à terre près du lieu de l’explosion. Quelqu’un le portait-il au moment de l’attaque ? Toujours est-il que ce casque témoigne du fait que le Canal Hotel n’est pas qu’un bâtiment dévasté et sinistre, mais un lieu où planent encore les âmes des dizaines de personnes qui y ont perdu la vie en ce 19 août 2003. A certains endroits, on aperçoit des restes de la peinture bleu-pâle des Nations unies, et des débris de stores de la même couleur. L’intérieur est jonché de gravats, de chaises démolies, de bureaux défoncés.

Une tour de télécommunications effondrée gît encore dans la cour, au centre de l’hôtel. Des fils pendent des plafonds, chaque pas soulève des nuages de poussière. Un pigeon s’envole dans un vestibule, effrayé par cette présence humaine soudaine dans le bâtiment abandonné.

Dans les ruines du Canal Hotel de Bagdad dix ans après l'attentat, le 16 août 2013 (AFP / Sabah Arar)

L’attentat contre le Canal Hotel avait été suivi d’un autre un mois plus tard, entraînant un départ massif d’Irak du personnel de l’ONU.

Beaucoup sont revenus désormais. Les principaux bureaux des Nations unies sont désormais situés dans la « Zone verte », un secteur du centre de la capitale lourdement fortifié et considéré comme sûr, mais où il est difficile pour de nombreux Irakiens d’accéder.

La « Zone verte » héberge les bâtiments du gouvernement irakien et de nombreuses ambassades étrangères. Elle est cernée d’épais murs de béton censés prévenir les attaques et les intrusions, et ses accès sont surveillés par des soldats irakiens armés de fusils d’assaut M-16 ou de Kalachnikovs. A l’intérieur du périmètre, les rues sont souvent vides. On n’y croise pratiquement que les policiers et militaires qui tiennent les nombreux points de contrôle, des véhicules blindés de transport de troupes, parfois un char Abrams. Les locaux de l’ONU sont des forteresses dans la forteresse, entourés d’autres murs gris, gardés par d’autres soldats.

Contrôle aux abords de la Zone verte de Bagdad, en mars 2013 (AFP / Ali Al-Saadi)

L’ONU est désormais en lieu sûr à Bagdad. Mais cette sécurité a un prix.

«Depuis que nous sommes dans la Zone verte, nos interactions avec les Irakiens ont diminué», explique Marwan Ali, qui avait survécu de justesse à l’attentat de 2003 et travaille maintenant comme directeur des affaires politiques à la mission de l’ONU en Irak. «Nous continuons de parler aux politiciens et aux personnalités, mais nous avons plus ou moins perdu le contact avec la population».

Quand les employés de l’ONU quittent la «Zone verte», ils ne le font que sous bonne escorte et à bord de véhicules blindés.

Voilà l’héritage de l’attentat du Canal Hotel. «Ce fut le 11 septembre de l’ONU», raconte Marwan Ali. «Pour nous, pour notre sécurité, tout a changé à partir de là».

Le Canal Hotel de Bagdad en novembre 2002, neuf mois avant l'attentat (AFP / Awad Awad)

A lire également: le billet de Sammy Ketz sur la mort dans l'attentat du représentant de l'ONU Sergio Vieira de Mello.