Fureur dans la nuit australe
FRUTILLAR (Chili), 24 avril 2015 – Je n’avais jamais eu de chance avec les éruptions. Le Chili compte près d’une centaine de volcans actifs qui, de temps en temps et sans prévenir, entrent dans des colères terribles que tout photographe rêve d’immortaliser. Mais le Chili est aussi un pays extraordinairement long et étroit, et les vols intérieurs sont annulés dès qu’il y a le moindre danger volcanique. Cela signifie que la plupart du temps, pour arriver sur les lieux d’une éruption, il est nécessaire de prendre le volant et de conduire pendant des heures. Avec la forte probabilité d’arriver à destination quand le volcan est déjà éteint…
La malchance m’a déjà frappé lors des éruptions du Chaitén en 2010, survenue quand j’étais au Pérou en train de couvrir un sommet international, et du Cordón Caulle l’année suivante, alors que je me trouvais encore une fois au Pérou pour les élections présidentielles. Et d’un point de vue vulcanologique, l’année 2015 a très mal commencé pour moi : en mars, j’ai raté les deux éruptions du Villarrica, situé à 700 kilomètres de Santiago où je suis basé. Je suis arrivé trop tard et je n’ai pu photographier que quelques vagues tas de cendres. Quelle frustration !
Le 22 avril, le gouvernement chilien décrète l’alerte rouge et ordonne l’évacuation des environs du volcan Calbuco, à un millier de kilomètres au sud de Santiago, qui est brusquement entré en éruption après cinquante-quatre ans de sommeil. Il est six heures du soir. A huit heures, le journaliste de l’AFP Miguel Sánchez et moi prenons la route. Le voyage doit durer une dizaine d’heures. Nous croisons les doigts pour arriver en vue du volcan avant que tout soit terminé.
Pendant que nous roulons sur la route Panaméricaine, j’appelle des gens que je connais à Puerto Varas, une ville située au pied du Calbuco. Je demande à une amie de m’envoyer les photos du volcan qu’elle a prises dans l’après-midi avec son téléphone portable. Avec mon propre téléphone, je réexpédie ensuite ces images vers notre quartier général pour l’Amérique latine à Montevideo.
Plus tard, je parviens à trouver un photographe professionnel qui accepte de nous vendre plusieurs images de meilleure qualité. De cette façon, nous sommes couverts : avant même que notre équipe soit sur place, l’AFP peut proposer à ses clients un large choix d’images de l’éruption. Mais bien sûr, cela ne m’ôte nullement l’envie d’arriver à temps pour cadrer le phénomène dans mon propre viseur !
Peu avant cinq heures du matin, nous décidons de nous arrêter à Frutillar, un village au bord du lac Llanquihue. Le ciel est dégagé, et c’est le premier point de notre itinéraire d’où nous aurons la possibilité d’apercevoir le volcan, situé de l’autre côté du lac à une cinquantaine de kilomètres à l’est. La vue sera moins impressionnante que depuis Puerto Varas, un peu plus au sud. Mais nous ne voulons pas courir le risque de rater le spectacle si le brouillard apparaît, ou si le volcan décide soudain de se rendormir pendant que nous parcourons les tous derniers kilomètres de notre long voyage.
Nous faisons bien. Il fait nuit noire et la température frise le zéro. Il n’y a pas un chat dans les rues du village. Le couvre-feu, que les autorités ont décrété pour prévenir les pillages et les autres désordres qui peuvent toujours survenir dans les situations de panique (comme ce fut le cas lors du grand tremblement de terre de 2011), vient de se terminer. Nous sommes absolument seuls face au volcan en pleine fureur, loin de l’autre côté du lac.
On entend de violentes explosions. Le cratère crache des étincelles, et de temps en temps un éclair volcanique illumine la nuit. C’est un phénomène qui se produit quand les roches et les cendres très chaudes que crache le volcan s’entrechoquent dans l’atmosphère et produisent de l’électricité statique.
Les photos que je prends cette nuit-là sont le résultat d’une exposition longue, d’une durée d’environ trente secondes. Comme mon appareil capte tous les phénomènes lumineux qui se produisent dans le ciel pendant ce laps de temps, les images sont beaucoup plus impressionnantes que ce que voit vraiment l’œil humain depuis les rives du lac. Après deux échecs cette année, j’obtiens enfin les images d’éruption que je désirais tant !
Une vingtaine de minutes après notre arrivée, l’éruption du volcan Calbuco s’achève. Il s’en est fallu d’un cheveu, mais comme dit le proverbe : la troisième fois est la bonne !
Martin Bernetti est un photographe de l’AFP basé à Santiago du Chili. Visitez son site personnel et lisez la version originale espagnole de cet article.