Des manifestants demandent la libération des Français Pierre Legrand, Daniel Larribe, Thierry Dol et Marc Féret, enlevés au Sahel, le 21 septembre 2013 à Marseille (AFP / Bertrand Langlois)

Familles au bord de la crise de nerfs

Pendant toute la durée de la captivité des otages, l’Etat doit s’efforcer de rassurer leurs proches sans livrer d’informations opérationnelles. D’où des incompréhensions et des relations parfois tendues. Témoignages.

PARIS, 25 juin 2015 - « Tout va dans le bon sens ». A chaque réunion au Quai d’Orsay, cette petite phrase revenait sans cesse. Comme un refrain entêtant aux oreilles de la femme du journaliste Philippe Rochot, retenu en captivité au Liban. Aujourd’hui, cette petite musique, qui sert à masquer avancées décisives comme les échecs prévisibles, n’a pas changé. Au grand dam des familles d’otages.

Mars 1986. Philippe Rochot, reporter d’Antenne 2 vient d’être enlevé par le mouvement chiite Hezbollah à Beyrouth. Le Liban est alors ravagé par la guerre civile. En trois mois et demi de captivité, son épouse ne reçoit qu’une seule lettre. Elliptique : « Je suis en bonne santé ». Pour avoir plus d’informations, elle arpente en vain les couloirs d’Antenne 2. Les autorités françaises maintiennent le secret sur les négociations en cours pour libérer Rochot et ses trois confrères - Jean-Louis Normandin, Georges Hansen et Aurel Cornéa – eux aussi journalistes. Tous sortiront vivants de cette épreuve.

Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius (à g.) rencontre des proches de Serge Lazarevic et Philippe Verdon, enlevés au Mali en 2011, à la cellule de crise du Quai d'Orsay le 4 janvier 2013 (AFP / Frédéric de la Mure - pool)

« La relation avec les familles des otages est difficile car on ne peut pas tout dire, reconnaît d’emblée Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères de mars 2004 à mai 2005. On en dit le maximum pour instaurer un climat de confiance, mais il y a des éléments que nous devons tenir secrets pour la bonne marche des négociations. » Une discrétion à laquelle sont tenus les diplomates. Aucun de ceux que nous avons joints n’a d’ailleurs souhaité s’exprimer sur ces questions sensibles qui mêlent sentiments et raison d’Etat.

« J’étais dépossédée de mon fils »

Les familles entendent que les services permettent à leur proche de recouvrer la liberté coûte que coûte. Quant à l’Etat, il doit assurer la vie de ses ressortissants, sans pour autant accepter une libération à n’importe quel prix. D’où certaines incompréhensions. « Pendant toute la période de détention, on n’avait pas d’autres choix que de leur faire confiance », raconte, émue, Christine Cauhapé, la sœur de Marc Féret, retenu en otage au Sahel par Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Et Pascale Robert, la mère de Pierre Legrand, compagnon d’infortune de Marc Féret, de renchérir : « La relation avec les autorités n’est pas facile car j’étais dépossédée de mon fils. Sa vie était entre les mains de l’Etat. » «L’impatience et l’angoisse des familles sont permanentes, concède Michel Barnier, mais la confiance doit à tout prix cimenter notre relation».

Il arrive que les relations entre l’Etat et les familles se prolongent dans le temps. Ce fut le cas des proches de Marc Féret et Pierre Legrand, détenus dans le nord du Mali pendant plus de trois ans. Employés par une filiale de Vinci au Niger, les deux hommes sont enlevés avec cinq autres personnes en 2010. La cellule de crise du Quai d’Orsay se transforme dès lors en véritable sas de décompression. Christophe Schmitt, médecin de cette cellule, est l’interlocuteur privilégié de Pascale Robert pendant toute la durée de détention de son fils. « Il était le relais entre le ministre des Affaires étrangères, le président et nous », explique-t-elle.

Anne-Marie Collomp, épouse de l'ingénieur Francis Collomp enlevé au Nigeria, en décembre 2012 à La Réunion (AFP / Richard Bouhet)

Le Quai d’Orsay et l’Elysée reçoivent toutes les huit semaines les familles des otages. L’occasion de manifester la compassion de l’Etat et de faire le point. Mais entre ces réunions, Pascale Robert n’hésite jamais à solliciter le Dr Schmitt. Cette mère angoissée lui pose une foule de questions : sont-ils vivants ? Peut-on les localiser ? Quel est votre sentiment ? Bien qu’il ne donne pas toujours de réponse précise, le médecin apaise ses craintes et la protège des chocs émotionnels. « Une fois, il m’a appelée à trois eures du matin pour m’annoncer la mort de l’otage Philippe Verdon, exécuté par AQMI en juillet 2013 ». Au même moment, son fils Pierre Legrand est toujours retenu par la même organisation dans le nord du Mali. Le docteur n’a alors qu’une peur : qu’elle l’apprenne le drame au petit matin par les médias.

Exutoire émotionnel

« La première fois qu’on les a rencontrés, il y avait le responsable et le médecin de la cellule de crise, raconte Christine Cauhapé. Quand on est arrivés, on était dans tous nos états. Ça n’a pas dû être simple pour eux.» Pascale Robert abonde dans son sens en décrivant certains entretiens houleux avec le docteur Schmitt. « Face à mes angoisses et à mes colères, je pense que je l’ai bien fait transpirer », ajoute-t-elle avec le recul.

Tiraillées entre raison d’Etat et impatience des familles, les autorités tissent des liens complexes avec les proches des otages. La priorité des services de renseignement et de la diplomatie reste de vérifier la véracité des informations. Ensuite seulement, les autorités peuvent entrer en contact avec les familles. Du coup, certaines entreprises se chargent d’annoncer aux proches les prises d’otages de leurs salariés. Une situation souvent interprétée comme un manque d’implication de l’Etat. « C’est Vinci qui m’a prévenu de l’enlèvement de mon fils et la cellule de crise des Affaires étrangères a mis plusieurs jours à se manifester, soupire Pascale Robert. Au début, j’ai eu l’impression qu’ils n’étaient pas très pressés. »

Pascale Robert, mère de l'otage Pierre Legrand enlevé par Aqmi au Mali, manifeste à Nantes le 4 mai 2013 (AFP / Damien Meyer)

En janvier 2013, l’opération militaire Serval est lancée au Mali. La guerre s’invite sur tous les écrans et envahit les médias. Les chances de survie des otages s’amenuisent, les familles sont désemparées. La cadence des rencontres, elle, reste inchangée malgré l’urgence de la situation. « Nous n’avons pas été tenus au courant du lancement de l’opération. Quand Serval a été déclenché, ça a été l’horreur, l’angoisse a atteint son paroxysme », lâche Pascale Robert. « François Hollande a reçu les familles des otages et nous lui avons dit que c’était inacceptable, qu’il n’aurait jamais lancé cette opération si ses enfants se trouvaient à la place de mon fils ». Le président écoute, encaisse en silence.

Silence de rigueur

Viennent s’ajouter à cela les inévitables directives imposées par le Quai d’Orsay pour le bon déroulement des négociations. Sollicitées par les médias, les familles sont incitées à garder le silence. Il s’agit de limiter la notoriété des ravisseurs, d’éviter de faire monter les enchères et d’empêcher la divulgation des données opérationnelles. Si les familles peuvent s’exprimer au sein de la cellule de crise, il leur est vivement déconseillé de briser ce huis clos et de communiquer dans la presse.

Au bout de deux ans de ce régime, la situation n’est plus tenable pour Christine Cauhapé et ses proches. Ils dérogent aux consignes, déroulent des banderoles, plantent des arbres de la liberté et organisent des marches pour réclamer le retour des otages du Mali: « On contrevenait aux directives, mais pour nous l’objectif était qu’ils rentrent le plus tôt possible. On a laissé deux ans à l’Etat pour les libérer. Un jour de plus c’était un jour de trop. »

Frédéric Cauhape (à g.) et Françoise Larribe (centre), respectivement beau-frère et épouse de l'otage français Daniel Larribe, manifestent à Marseille le 21 septembre 2013 (AFP / Bertrand Langlois)

Dans ces circonstances dramatiques, ponctuées de tensions et de déceptions, des liens singuliers se créent entre les familles et les membres de la cellule de crise du Quai d’Orsay. « A la fin, on avait comme une relation de travail, une réelle collaboration », estime Pascale Robert. Après la libération des otages, le 29 octobre 2013, Christine Cauhapé est retournée au Quai d’Orsay : « J’avais besoin de revoir certaines personnes de la cellule de crise avec qui j’avais créé de vraies affinités ».

En janvier dernier, à l’heure des attentats de Paris, Christine s’inquiète de l’état psychologique de son frère Marc Féret. Elle appelle les membres de la cellule de crise qui lui proposent spontanément un suivi pour l’ancien otage du Mali. Deux ans après la libération de son frère, elle se tourne naturellement vers eux. « Ce sont des gens qui donnent tout, qui n’ont pas d’horaires », lâche-t-elle. Le travail de la cellule de crise ne prend pas fin avec la libération de l’otage. Les liens avec les familles non plus.

Le dossier « Otages », dont fait partie cet article, a été réalisé par des étudiants en journalisme de l'Institut français de presse dans le cadre d'un partenariat avec l'AFP.

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Le journaliste Nicolas Hénin est accueilli par sa famille à son retour en France après dix mois de captivité en Syrie, le 20 avril 2014 (AFP / Kenzo Tribouillard)