Exode sans fin dans la neige des Balkans
MIRATOVAC (Serbie), 27 janvier 2016 – J’ai commencé à couvrir la crise migratoire dans les Balkans en juin dernier, et j’ai effectué plusieurs reportages en Serbie et en Macédoine durant l’été et l’automne. Je savais qu’avec l’hiver, qui est généralement glacial dans cette région, la situation allait devenir très difficile pour les milliers de réfugiés qui affluent chaque jour en direction de l’Europe de l’ouest. Quand les premières neiges sont arrivées et que les températures ont commencé à chuter, j’ai voulu aller voir ce qui se passait. J’ai passé un coup de fil à mes chefs à Paris et ils m’ont dit d’aller passer une semaine sur place.
J’ai pris cette série d’images dans la campagne près du village serbe de Miratovac, situé sur la frontière macédonienne. Les réfugiés traversent la Macédoine en train depuis la frontière grecque. Puis ils doivent parcourir à pied les quatre ou cinq kilomètres qui les séparent de la Serbie. Comme je connais les horaires d’arrivée des trains du côté macédonien, je sais à peu près à quel moment les réfugiés vont commencer à apparaître dans les champs. Et à chaque fois, c’est dur, très dur.
L’été et l’automne derniers, au même endroit, c’était une véritable marée humaine qui déferlait. On comptait jusqu’à une dizaine de milliers d’arrivées par jour. En hiver, les réfugiés sont moins nombreux, de l’ordre de mille à deux mille par jour. Les Iraniens, les Pakistanais et les ressortissants de pas mal d’autres pays ont disparu. Il ne reste plus que les Syriens, les Irakiens et les Afghans, les seuls que les Macédoniens laissent désormais entrer dans leur pays depuis la Grèce. Ce sont les plus désespérés, ceux qui n’ont d’autre choix que de se lancer à pied sur la route des Balkans pendant une tempête de neige, ou bien la nuit quand la température tombe à -15 degrés, pour échapper aux guerres de plus en plus effroyables dans leurs pays. La marche à travers les champs gelés et venteux est éprouvante. Ils sont hagards. Certains, dans leurs pays, n'ont jamais vu la neige. Beaucoup sont emmitouflés dans les couvertures grises que leur ont fourni les Nations unies quelque part sur la route. Les enfants pleurent de fatigue et de froid.
Le premier jour, nous n’étions que deux photographes sur place: mon collègue de l’agence Reuters Marko Djurica et moi-même. Je n’étais pas très satisfait de mon travail. Comme toujours, j’adore être dehors et prendre des photos, mais je deviens beaucoup plus sceptique et critique envers moi-même quand je vois le résultat sur mon écran. Reste que mes images ont été bien reprises dans les médias internationaux. Quand ils ont vu nos photos, d’autres journalistes sont arrivés et petit à petit nous sommes devenus beaucoup plus nombreux.
La première chose que les réfugiés doivent faire, c’est de s’enregistrer auprès des autorités serbes. Ils sont alors autorisés à traverser le pays en direction de la Croatie et de la Slovénie dont les frontières, contrairement à celle de la Hongrie, restent pour le moment franchissables. L’enregistrement a lieu dans un camp dans la ville voisine de Preševo. Des organisations non gouvernementales ont mis en place un service de minibus pour y transporter les femmes, les enfants et les personnes âgées depuis la frontière. Les autres doivent faire le trajet de sept kilomètres à pied.
Heureusement, les réfugiés ne sont pas obligés de passer la nuit dehors. Les camps de tentes de la Croix rouge serbe et des autres associations et organisations internationales à Preševo, mis en place l’été dernier quand le flux était beaucoup plus important, suffisent amplement à les héberger. La population locale les aide aussi, un peu. Ce sont des conditions de vie qui n’ont rien de confortable, mais au moins personne ne meurt de faim ni de froid.
Cette crise humanitaire n’est pas la première à laquelle j’assiste dans la région. La guerre du Kosovo, que j’ai couverte en 1998 et 1999, a aussi eu son lot de réfugiés et de désespérés. Mais leur nombre était sans commune mesure avec ce à quoi on assiste ces derniers mois. Maintenant, c’est pire. Bien pire.
Dimitar Dilkoff est un photojournaliste de l’AFP basé à Sofia. Suivez-le sur Instagram et surTwitter (@dilkoff) et lisez son blog personnel. Cet article a été écrit avec Roland de Courson à Paris.