Errance en noir et blanc dans Paris sous le choc
PARIS, 20 novembre 2015 - Comme de nombreux photojournalistes, je suis venu en touriste à Paris ce 13 novembre pour visiter le salon Paris-Photo. Et comme de nombreux photojournalistes, je me retouve au milieu des attentats les plus sanglants qu'ait connu la France dans son histoire. Sauf que je n'ai pas apporté d'appareil photo…
En poste à Nice, je suis un inconditionnel de Paris-Photo, l'un des plus grands rendez-vous mondiaux de la photo d'art qui se déroule au Grand-Palais et où j'ai l'intention de me rendre le samedi. Je n'ai pas apporté mon lourd matériel pour ce qui s'annonce, au départ, comme un weekend de pures réjouissances. Les attentats ont lieu alors que je suis en train de dîner avec des collègues de l'AFP et RFI dans un restaurant du 9ème arrondissement. Nous ne tardons pas à comprendre qu'il se passe quelque chose de grave et tout le monde part. Et moi, sans appareil, je n'ai plus qu'à rentrer à mon hôtel.
Mais j'ai mon smartphone. Je m'en sers pratiquement tous les jours pour faire de la photographie de rue en noir et blanc sur la Côte d'Azur, en marge de mon activité "officielle" à l'AFP. Le lendemain, je me lève très tôt et je me dirige à pied vers les restaurants Le Carillon et Le Petit Cambodge, où une des fusillades a fait quinze morts.
Les rues sont pratiquement désertes, le silence est pesant, l'atmosphère la plus lugubre que j'aie vue de toute ma vie. Les lieux des attentats ne sont protégés par aucun cordon de police. Il y a du sang sur le trottoir, de la sciure de bois répandue par les pompiers, quelques gants chirurgicaux abandonnés, déjà quelques fleurs et chandelles déposées par des passants.
Je commence à prendre des photos avec mon iPhone exactement comme j'ai l'habitude de le faire, avec l'application Hipstamatic, mais dans une ambiance évidemment aux antipodes de mes lieux de prédilection que sont la plage de Nice, la promenade des Anglais ou le Festival de Cannes.
Je passe toute la matinée dans la rue. Comme tous les lieux publics, Paris-Photo ne réouvrira pas ce weekend, et je n'ai rien de mieux à faire que d'errer dans la capitale où la vie reprend tant bien que mal. Je croise un grand nombre de collègues photographes en plein travail. Vers midi, la batterie de mon portable est pratiquement à plat et je m'apprête à rentrer, quand tout à coup je croise ce cycliste qui remorque un piano à queue. Un peu plus loin, le pianiste s'arrêtera devant le Bataclan et interprétera la chanson Imagine de John Lennon, une scène étrange et belle qui sera immortalisée par les caméras du monde entier.
Quand je poste ma photo de pianiste à vélo sur Twitter, elle a tout de suite un succès monstre, avec plusieurs milliers de retweets en quelques heures. Comme je commence vite à recevoir des messages de gens qui veulent me l'acheter, je propose à l'AFP de la publier. Mais au milieu de la quantité gigantesque de photos «conventionnelles», souvent très fortes, que produisent tous mes collègues sur le terrain après les attentats, mon unique cliché en noir et blanc pris au smartphone d'un cycliste remorquant un piano à queue risque de paraître totalement farfelu… Nous préférons finalement attendre quelques jours et publier une série entière de photos Hipstamatic - celle que vous avez sous les yeux.
C'est vrai que mes images sont complètement décalées par rapport à un événement aussi dramatique que les attentats. Mais elles ne sont pas pour autant choquantes. Elles ne montrent rien de sanglant, ni de sensationnel. Mais leur format carré, le noir et blanc, et les filtres Hispatamatic que j'emploie habituellement restituent bien, je crois, la douleur et le désarroi des Parisiens sonnés par cette nuit de cauchemar.
Valéry Hache est un photographe de l'AFP basé à Nice. Suivez-le sur Twitter (@ValeryHache) et sur Instagram. Ce texte a été écrit avec Roland de Courson (@rdecourson) à Paris.