Un manifestant tient un panneau appelant à 'Arreter le 3ème mandat' du Président Pierre Nkurunziza chante près d'une barricade dans le quartier Mugasa de Bujumbura, le 6 mai 2015 (AFP Photo / Phil Moore)

D’où vient le vent à Bujumbura

BUJUMBURA, le 7 mai 2015 - Ce matin était très tendu dans Bujumbura. Je me suis retrouvé au milieu d'affrontements entre manifestants et police, avec des blessés par jets de grenade et un manifestant est tombé raide mort, atteint d'une balle en plein front. Scènes terribles.

Le risque de troubles était bien connu à l’approche des élections au Burundi, où une partie de la population est indignée par la perspective d’un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza. Je suis arrivé ici le 1er mai, au terme d’une semaine de manifestations et de violences, couverts par le photographe de l'AFP Simon Maina.

Des jeunes manifestent contre un 3ème mandat pour le Président Pierre Nkurunziza à Bujumbura, le 1er mai 2015

 (AFP Photo / Phil Moore)

Les conditions de travail sont globalement sûres pour nous journalistes – que ce soit côté manifestants ou côté policiers. Je suis habitué à travailler dans des environnements difficiles, où les services de sécurité sont agressifs vis-à-vis de la presse, et où les manifestants peuvent vite nous prendre à partie.

Jusqu'à maintenant, ce n'est pas arrivé dans la capitale burundaise, même si les Imbonerakure ("Ceux qui voient de loin", en langue nationale kirundi), les jeunes miliciens du parti au pouvoir qui s'opposent aux manifestants, ne veulent pas parler et parfois réagissent avec agressivité quand on les prend en photo.

Pour travailler en sécurité dans une situation de guerre civile ou de conflit, il faut essayer de sentir "d'où vient le vent" pour anticiper au mieux les événements et réagir avec efficacité.

Un homme suspecté d'être un 'Imbonerakure' demande de l'aide à des militaires depuis l'égout ou il s'est caché pour échapper à un lynchage, à Bujumbura le 7 mai 2015 (AFP Photo / Aymeric Vincenot)

Mais parfois, les choses sont imprévisibles. Les manifestations sont d'abord limitées à certains quartiers limitrophes de Bujumbura, et je vais de l'un à l'autre pour observer la situation. Mais un après-midi, j'étais de retour dans ma chambre d'hôtel pour envoyer des photos quand j'entends des tirs d'armes à feu. J'attrape mes appareils-photo, me précipite dehors pour voir la police dégager une barricade hâtivement érigée sur la route principale, à quelque 150 mètres de l'entrée de l'hôtel. Les prochains jours ressembleront de plus de plus à ces jeux du chat et de la souris.

Je parle beaucoup avec la police, comme avec les manifestants. Pour faire des photos qui rendent fidèlement compte de la réalité, je sais qu'il faut comprendre la dynamique qui pulse les événements. Régulièrement, des policiers me demandent "comment voyez-vous la situation ici?", et quand je franchis les barricades, les manifestants me posent la même question.

Ces manifestants sont exaspérés par le fait que Nkurunziza tente, selon eux, de violer la Constitution afin de briguer un troisième mandat.

Des manifestants brandissent un oiseau mort dans le quartier Mugasa de Bujumbura, le 4 mai 2015 (AFP Photo / Phil Moore)

On sent une immense frustration parmi les manifestants dans les rues de Bujumbura. Les boutiques, les marchés sont fermés en raison des violences, trouver de la nourriture est de plus en plus difficile, les gens ne peuvent se rendre au boulot et, en raison de l'insécurité beaucoup ne dorment pas la nuit car ils gardent leur maison: les gens sont de plus en plus fatigués, de plus en plus frustrés.

L'emblème du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, qui a choisi Nkurunziza comme candidat à la présidentielle, est un aigle. Aussi, ces manifestants, criant et riant, se moquaient du pouvoir en déplumant un oiseau mort à la tête d’une manifestation, face à la police.

Depuis une semaine que je suis ici, je vois de plus en plus de jeunes hommes se grimant le visage de cendres, encagoulés, ou dissimulés derrière d’étranges masques – faits de branchages ou de feuilles.

Un manifestant masqué dans le quartier Cibitoke de Bujumbura, le 5 mai 2015 (AFP Photo / Phil Moore)

Plutôt qu’un besoin de dissimuler leur identité, ces masques me semblent relever d’une forme de théâtralité – comme s'ils cherchaient savamment, à travers l’image, à focaliser l’attention du monde sur le Burundi.

Un matin de cette semaine, lors d’une accalmie relative, je suis tombé face à face avec cet homme portant un fusil de bois, brandi comme un symbole pour dénoncer l’impuissance des manifestants face à des policiers armés.

Depuis notre arrivée à Bujumbura, les forces de l’ordre ont fait usage à plusieurs reprises de balles réelles. Les deux camps se rejettent la responsabilité des jets de grenades qui ont émaillé les affrontements. Ce qui ne fait aucun doute, c’est le bilan meurtrier de ces 12 jours de violence, qui s’établit déjà à 17 morts.

Phil Moore est un photojournaliste indépendant et collaborateur de l’AFP base à Nairobi. Cliquer ici pour voir d’autres éxemples de son travail.

Un homme tient un fusil factice dans le quartier Mugasa de Bujumbura, le 5 mai 2015 (AFP Photo / Phil Moore)