Derrière le rideau du cirque Medrano
Je suis comme tout le monde, quand on va au cirque, on se demande ce qui se passe derrière le rideau.
Je n’y ai pas trouvé tout ce que j’imaginais, mais j’ai réussi à aller dans les coulisses du Medrano, l’un des plus grands cirques de France.
Je suis photographe au bureau de Lyon, et comme tous mes collègues je suis avant tout l’actualité. Et de temps en temps on a envie de prendre l’air, de faire quelque chose d’un peu différent.
Le Medrano a été créé en 1897. Il est basé dans la capitale lyonnaise environ deux mois par an, entre octobre et décembre. Et je passe devant tous les jours en allant au bureau.
J’avais bien essayé d’obtenir une autorisation il y a un an, mais la mayonnaise n’a pas pris avec l’attaché de presse. Ils m’ont rappelé cette année pour couvrir le nouveau spectacle, et j’en ai profité en leur disant que je voulais tout voir.
Je m’attendais à y trouver cette grande famille dont on parle toujours.
Ça n’est pas vraiment ça, plutôt un festival de nationalités, quatorze ici, avec des Moldaves, Espagnols, Indonésiens. Pour un total de 120 employés, artistes et ouvriers.
Il y a quand même une famille au cœur, celle du clown, Tonino, avec ses deux enfants de 10 et 16 ans, Brian et Yerah, clowns eux aussi. L'aîné est clown blanc, le triste.
Tonino est là depuis très longtemps, fidèle à Medrano, alors que beaucoup d’autres artistes changent régulièrement de troupe.
Son vrai nom est Antonio Papadopoulo. C’est un peu l’homme-orchestre du spectacle. Il surveille l’enchaînement des numéros.
Pour assister au spectacle il suffit d’un billet. Pour les coulisses en revanche il faut un peu de temps, et surtout savoir rester discret.
J’y ai été une dizaine de fois. Les premières, je me faisais l’effet d’un cheveu sur la soupe, tout le monde me regardait avec des grands yeux. Le premier jour j’ai dû faire quatre photos.
Je me demandais un peu comment m’y prendre et puis d’un coup ça a changé.
J’y retourne un matin et tout le monde me dit bonjour. J’entre par un petit portail à l’arrière et je gare mon scooter près de la caravane des clowns
La première à m'accueillir c'est Sophie, la chienne de race Shar-Peï, qui fait office de mascotte. La veille, j'attendais la fin du spectacle à ses côtés. Là, elle m'a fait la fête.
C’est drôle mais à ce moment j’ai senti que je faisais presque partie de l’équipe, on m’acceptait.
D’un autre côté j’ai tout fait pour ne pas apparaître comme un intrus. En travaillant avec un seul appareil, très silencieux, et un petit objectif de 28 mm. Ça ne les a pas dérangés. Et ça me permettait d’être très mobile, sans prendre de place.
Ma terreur était d’être le grain de sable dans une mécanique de précision. Le spectacle est un moment incroyable derrière le rideau.
Chaque geste compte, ça doit s’enchaîner sans un seul temps mort, dans un espace restreint.
Sur les images on a l’impression d’un temps au ralenti, mais en fait ils travaillent comme des fous. Ils assurent trois représentations par jour de 2 heures chacune. Il y a très peu de moments de pause.
Les artistes m’ont fait penser à ces marins dans les compétitions, avec leurs micro-siestes de 10 minutes. Il y a une marmite dans une caravane pour avaler un repas vite fait.
Ils n’arrêtent pas, parce qu’en fait ils tiennent souvent plusieurs rôles.
La jeune fille qui accueille le public à l’entrée, on la retrouve ensuite juchée en haut de l’éléphant. Le funambule participe au montage de la tente, d’autres se transforment en vendeurs de popcorn à l’entracte.
Il n’y a presque pas de pauses. Même pour les enfants de Tonino, qui comblent les intervalles entre les grands numéros sur la scène.
Le contraste entre la scène et les coulisses est frappant. C’est comme les studios de télé, d’un côté ça brille, on a bien chaud, tout bouge, mais quand on regarde de plus près...
Derrière le rideau, ils sont dans la pénombre, il fait assez froid, surtout en cette saison, avec du matériel entassé dans tous les coins. Je crois que je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi triste.
C’est plutôt artisanal, avec du matériel bricolé, réparé, et un coup de peinture pour lui donner de l’éclat.
L’atmosphère est étrange. Parce que sans être une famille, sans être tous ensemble, ce petit monde se côtoie, par groupes. Ils se retrouvent pour manger par nationalités, à deux ou trois.
Ils se donnent des coups de main aussi, sans avoir besoin de parler, pour dresser le chapiteau par exemple. Et quand l’acrobate a mal au dos, c’est l’homme fort qui lui fait faire des exercices.
Les clowns sont à part. Je les voyais toujours arriver déjà maquillés, et je ne comprenais pas comment ils faisaient.
On m’a dit : « ils sont dans la grande caravane là-bas, c’est chez eux. Vas-y et demande Tonino ».
Il m’a ouvert sa porte. « Il fallait me le dire avant, je t’aurai rejoint avec les autres. C’est pas grave. Allez, entre ».
Ce blog a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.