Dans le ventre de Paris
Paris -- Parfois, il vaut mieux ne pas être claustrophobe. Et se dire que de toute façon, on s’en sortira, à l’air libre. Toutes les villes ont leur scène « underground ». Mais Paris en a une véritable dans ses sous-sols, les catacombes, un labyrinthe de tunnels et de caves.
La partie ouverte au public est une des plus grandes attractions de la capitale pour les touristes. Mais celle qui m’intéresse est bien plus étendue, jusqu’à 300 km.
Elle atteint la proche banlieue.
Son accès est théoriquement interdit, mais difficilement contrôlable, surtout face aux cataphiles.
Comme mon ami Pascal, Parisien de 36 ans, qui explore le réseau depuis vingt ans.
Il l’a découvert quand des connaissances plus âgées ont accepté de l’emmener dans leur exploration.
Il a attrapé le virus. Et a accepté d’être mon guide pour une nuit.
Les catacombes, qui se trouvent sur la rive gauche de Paris, occupent les anciennes carrières, mises à profit à la fin du 18è siècle pour désengorger le cimetière des Innocents, au cœur de la capitale, puis d’autres lieux de sépultures.
Elles accueillent les ossements de millions de Parisiens.
Les tunnels et cavernes ont toujours attirés les curieux.
La partie officiellement ouverte draine un flot ininterrompu de touristes.
Pour ceux qui rechignent à emprunter les sentiers battus, il y a des dizaines d’entrées clandestines, et plus ou moins aisées d’accès, situées dans plusieurs quartiers de Paris.
Nous sommes passés par une bouche d’égout.
Il est recommandé de bien s’équiper, avant d'y pénétrer. Des bottes imperméables, un casque avec lampe frontale et des vêtements tout terrain.
Parce qu'il faut parfois ramper, dans la poussière et l’humidité. Il y a des tunnels suffisamment grands pour qu’une personne de ma taille avance debout. D’autres si étroits qu’on se retrouve à quatre pattes, en poussant son sac à dos devant soi.
L’autre équipement indispensable est une carte. Il n’en existe pas d’officielle. A chacun la sienne. Sur une feuille de papier ou chargée sur un smartphone.
A défaut, on se perd facilement. Comme le plus célèbre des égarés, Philibert Aspairt, portier de l’hôpital du Val de Grâce pendant la Révolution. Il pénétra dans les catacombes, pour atteindre un cellier rempli d’alcool, selon la légende, et n’en ressortit jamais. Onze ans plus tard son corps fut inhumé là où il venait d’être découvert.
Les cataphiles se divisent en deux groupes. Les mordus, comme Pascal, qui vont régulièrement sous terre pour explorer et cartographier de nouveaux passages, et les explorateurs occasionnels qui s’y rendent pour passer une soirée avec des amis dans une grotte, avec du vin et quelques bougies.
Après quelques heures sous terre je crois avoir compris ce qui les attire là. D’abord le silence complet qui règne dans l’endroit, alors qu’on se trouve à quelques mètres sous les klaxons et le vrombissement des véhicules dans les rues.
Ce silence vous fait aussi perdre toute notion du temps. J’ai passé environ six heures sous terre, mais je ne m’en serai jamais douté sans consulter ma montre. Le temps m’a paru suspendu, renforçant l’impression de se trouver dans un autre monde.
La température est remarquablement stable, autour de 15 degrés Celsius.
On pourrait se trouver n’importe où, si ce n’est pour ces panneaux indiquant de temps en temps sous quelle voie de la capitale on circule.
On se repère aussi à l’aide de dessins et de graffitis. Et on bute parfois sur des objets improbables. Comme un Vélib ou des peluches.
Les cataphiles que j’ai rencontrés sont très concernés par la sécurité. Leur terrain de prédilection peut paraître chargé d’un certain romantisme, mais c’est aussi un endroit potentiellement dangereux. Un ami de Pascal est tombé une fois sur deux explorateurs qui s’étaient chacun cassé une jambe. Il s’est arrangé pour les remonter à la surface avant d’appeler une ambulance.
S’aventurer dans les catacombes est suffisamment risqué pour qu’une équipe de gardiens de la paix, les « cataflics » comme on les surnomme, soit chargée d’en interdire l’entrée, et d’en gratifier les contrevenants d’une amende de 60 euros.
Je les ai rencontrés quelques semaines après avoir visité les lieux, pour leur demander de les accompagner un jour. Leur responsable m’a expliqué que leur plus grande crainte portait sur les adolescents qui s’engagent dans le labyrinthe : « Quatre descendent et trois remontent. Et puis c’est à nous d’aller retrouver celui qui manque ».