Couvrir le royaume de l'absurde
SÉOUL, 10 jan 2014 – Quel est le plus vraisemblable des articles parus dans la presse ces derniers jours à propos du jeune dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-Un? Qu'il a exécuté son oncle en le livrant nu à une meute de chiens affamés ? Ou qu'il a fêté son anniversaire à Pyongyang avec une ancienne star du basket américain, réputée pour ses tatouages, ses piercings et son goût pour le déguisement et le catch ?
Démêler le vrai du faux à propos de la Corée du Nord est une tâche ardue: dans ce pays secret et isolé, dirigé d'une main de fer depuis trois générations par les Kim, les rumeurs les plus surréalistes paraissent presque crédibles.
Une vidéo (ci-dessous) montre l'ancien défenseur des Chicago Bulls Dennis Rodman entonnant « Happy birthday » avant un match de basket à Pyongyang, devant Kim Jong-Un qui fêtait ce jour-là ses 30, 31 ou 32 ans. Le jour et le mois de sa naissance sont connus, mais pas l'année. Les experts sud-coréens lui donnent une trentaine d'années. « Cela ressemblait un peu à Marilyn Monroe chantant pour JFK, il en avait les accents », a raconté Sophia Sokmensuer, une touriste américaine qui a assisté par hasard à l’improbable sérénade.
L'ex joueur de la NBA Dennis Rodman chante "Happy birthday" au leader nord-coréen Kin Jong-Un à Pyongyang. Si vous ne parvenez pas à visualiser correctement cette vidéo, cliquez ici.
L'histoire de la mort de l'oncle dans la gueule de molosses, rapportée par plusieurs médias internationaux, a vraisemblablement pour origine un tweet satirique posté sur un site chinois. L'«info» a été reprise par un journal chinois, Wen Wei Po, avant d'engendrer des articles effarés dans des médias occidentaux.
Différencier les faits de la fiction est quasi-impossible à propos de la Corée du Nord, dont le régime verrouille tous les canaux d'information et de communication, rendant difficile la vérification des rumeurs. Parallèlement, l'intérêt de la presse internationale est énorme. Surtout lorsqu'il s'agit d'histoires à sensations qui confortent le public dans sa perception de la Corée du Nord comme un pays étrange, brutal et arriéré.
Les médias étrangers peuvent ainsi amalgamer plusieurs bribes de rumeurs, autour d'un fait avéré, comme ce fut par exemple le cas avec l'exécution de l'oncle du dirigeant nord-coréen, annoncée en décembre par Pyongyang.
La version la plus spectaculaire véhiculée par la presse étrangère était la suivante: Kim Jong-Un a fait jeter en pâture à 120 chiens affamés son oncle, nu, qui avait eu une liaison avec la jeune épouse du dirigeant. La femme de l'oncle, victime d'une attaque cardiaque consécutive au choc émotionnel, est dans le coma.
Seuls l'arrestation, le procès express et l'exécution ont été annoncés officiellement par le régime. Le reste provient, en bonne partie, de sites internet opérés par des Nord-coréens réfugiés au Sud et de médias sud-coréens, qui ont intérêt à dresser un portrait le plus effroyable possible du régime des Kim.
Des rumeurs pour combler le vide
« Les nouvelles provenant d'un pays aussi fermé que la Corée du Nord restent très limitées, nourrissant ainsi tout un tas de rumeurs non confirmées pour remplir le vide », note Choi Jung-Hoon, le directeur de la radio Free North Korea à Séoul, qui a fui le Nord en 2007. « Les gens imaginent ce qui peut se passer en Corée du Nord: un endroit bizarre et sauvage où tout peut arriver. Parfois, le portrait qu'ils en font est grotesque, très différent du pays où j'ai vécu et que je connais ».
Outre le blocus presque total sur les informations, le culte de la personnalité autour de la dynastie des Kim et le langage belliqueux usité à l'égard du voisin et frère ennemi du sud donnent l'impression à l'étranger que le pays est aux mains d'une clique paranoïaque. Ainsi, la presse officielle nord-coréenne a accusé Jang Song-Thaek d'être un coureur de jupons, un drogué décadent, « un débris humain méprisable, pire qu'un chien ».
Le régime de Pyongyang est coutumier de ce type d'hyperboles, un élément de la propagande destinée à sa population.
Le refus de la Corée du Nord de confirmer ou démentir les « informations » extérieures ne fait qu'alimenter le moulin à rumeurs. Le régime a cependant pris ombrage de certains articles dans la presse étrangère peu flatteurs sur son dirigeant.
Les médias officiels ont ainsi qualifié d' «actes criminels hideux » les allégations sur une opération chirurgicale qu'aurait subie Kim Jong-Un pour ressembler à son grand-père, Kim Il-Sung, fondateur de la Corée du Nord. Ils ont également menacé de mort les auteurs d’un article affirmant que le dirigeant considérait « Mein Kampf » d’Adolf Hitler comme son guide d’exercice du pouvoir. Ils ont également démenti des allégations de la presse étrangère durant l’été 2013, selon lesquelles une douzaine de musiciens et chanteurs pop auraient été exécutés à la mitrailleuse devant leurs familles pour « violation des lois sur la pornographie ».
Kang Chan-Ho, journaliste et spécialiste du Nord au quotidien Hankyoreh, note que plusieurs histoires sont concoctées par les critiques les plus acerbes du pays. « Certains réfugiés tendent à laisser leurs sentiments personnels vis-à-vis de Pyongyang prendre le dessus et à amplifier des rumeurs qui sont invérifiables ».
Jung Ha-Won est journaliste au bureau de l'AFP à Séoul.