Un soldat de l'armée syrienne pendant un combat contre les rebelles près du poste-frontière de Quneitra, sur le plateau du Golan, le 1er septembre 2014 . Cette photo a été prise depuis le côté israélien de la ligne de démarcation (AFP / Menahem Kahana)

Au Golan, la guerre comme au spectacle

MONT BENTAL (plateau du Golan), 5 septembre 2014 – Sur le plateau du Golan, une féroce bataille oppose des soldats de l’armée syrienne loyale au président Bachar al-Assad à un groupe de rebelles du front Al-Nosra. Elle se déroule à l’aube du 1er septembre près du poste-frontière de Quneitra, à quelques mètres de la clôture barbelée qui sépare la zone sous contrôle syrien de celle sous contrôle israélien.

J’assiste à ces combats depuis un bunker désaffecté de l’armée israélienne, situé à cent mètres de la ligne de démarcation. J’ai sous mes yeux une véritable scène de guerre, mais en même temps elle se déroule comme dans un autre monde. Personne ne s’en prend à moi, personne ne s’intéresse à ce qui se passe de mon côté de la frontière.  J’ai l’impression bizarre d’être au cinéma…

Un rebelle syrien tire sur les troupes gouvernementales à quelques mètres des barbelés marquant la frontière avec le côté israélien du plateau du Golan, le 1er septembre 2014 (AFP / Menahem Kahana)

Je suis arrivé sur place avec un collègue à six heures du matin, en empruntant une piste en terre battue. Par bonheur, l’armée israélienne n’a pas bloqué la route ce jour-là. Le paysage du Golan est noyé dans une épaisse brume matinale. Vers huit heures, celle-ci se dissipe et je peux observer distinctement le côté syrien à travers mon objectif de 500 mm. Des tirs d’armes automatiques et de mortier retentissent et tout à coup, caché derrière un muret en ruines à environ 400 mètres du point où je me trouve, j’aperçois un commando de l’armée syrienne. Et puis, à ma droite, je vois aussi un groupe de rebelles. Les deux camps sont embusqués à environ cent mètres l’un de l’autre.

Le drapeau syrien, qui flottait encore sur le poste-frontière de Quneitra le 1er septembre, est enlevé après la prise du village par les rebelles le lendemain (AFP / Menahem Kahana)

Les soldats syriens commencent à ramper vers les positions rebelles et, arrivés à leur hauteur, leur balancent des grenades. Les rebelles ripostent, puis des snipers se séparent du groupe principal pour tenter de prendre les soldats à revers. Ce deuxième groupe rebelle vient se positionner tout contre la clôture barbelée, s’intercalant entre les soldats d’Assad et moi ! La fusillade redouble d’intensité. Trois obus de mortier atterrissent par erreur du côté israélien. Les chars israéliens, qui sont positionnés en permanence face à la frontière, entament une manœuvre d’avertissement. C’est devenu trop dangereux et nous nous réfugions dans le bunker abandonné. Nous repartons vingt minutes plus tard, quand la situation s’est un peu calmée.

Des chars Merkava israéliens en alerte près du poste-frontière de Quneitra, sur le plateau du Golan, le 1er septembre 2014 pendant des combats entre l'armée syrienne et la rébellion de l'autre côté de la ligne de démarcation (AFP / Menahem Kahana)

Un peu plus haut sur le plateau, depuis des belvédères, les curieux regardent paisiblement les combats qui se déroulent du côté syrien, à un kilomètre de là. Ils ne peuvent pas voir les combattants en chair et en os, comme je l’ai fait en m’approchant au plus près de la frontière. Mais ils peuvent observer des bombardements, des explosions, de la fumée, le drapeau des rebelles qui a remplacé le drapeau syrien à Quneitra…

Certains viennent en famille. D’autres apportent des chaises pliantes et s’installent là pendant une heure avec des jumelles. Il y a là surtout des habitants du Golan, mais aussi des touristes qui combinent la visite des nombreux sites historiques du plateau, théâtre de la guerre du Kippour en 1973, avec le show de la guerre civile syrienne en direct.

Des Israéliens observent les combats en Syrie depuis un belvédère sur le mont Bental, sur le plateau du Golan, le 2 septembre 2014 (AFP / Menahem Kahana)

C’est la belle saison en ce moment dans le Golan, celle des vendanges et de la récolte des pommes. C’est un contraste étrange entre l’atmosphère bucolique du côté israélien et les combats qui font rage du côté syrien. Les forces de sécurité israéliennes autorisent les gens à se promener près de la ligne de démarcation pour ne pas nuire à l’industrie touristique. Cela n’est pas toujours sans danger : il y a quelque temps, plusieurs obus tirés de l’autre côté de la frontière ont atterri dans un kibboutz situé juste derrière le belvédère d’où les touristes contemplent la Syrie. Il s’agit a priori de tirs accidentels : l’armée syrienne et les rebelles ne semblent pas viser pas expressément l’Etat hébreu. L’armée israélienne est en position de force sur le plateau du Golan, du haut duquel elle domine toute la région. Elle effectue parfois des tirs de semonce vers la Syrie lorsque les combats menacent de déborder du côté israélien.

Vus depuis le côté israélien, des combats dans le village syrien de Quneitra, le 31 août 2014 (AFP / Menahem Kahana)

Ces photos rappellent un peu celles que j’avais prises en juillet, pendant la guerre à Gaza, au sommet d’une colline de Sderot où les habitants des villages israéliens frontaliers se massaient pour regarder les bombardements sur l’enclave palestinienne. Mais en fait les deux situations sont complètement différentes : d’une part un conflit auquel Israël n’est pas partie, et d’autre part une guerre entre Israël et le Hamas. Au Golan, les belvédères d’où les gens regardent la Syrie ne sont jamais pris intentionnellement pour cibles. Alors qu’à Sderot, des roquettes du Hamas visaient régulièrement la colline d’où les Israéliens observaient les combats. Ces « spectateurs » n’étaient pas des touristes, mais des habitants du coin, habitués aux roquettes palestiniennes et aux ripostes israéliennes. Sderot est un village où il ne se passe jamais rien et ses habitants, en temps de guerre comme en temps de paix, n’ont souvent d’autre distraction que de monter sur la colline pour regarder Gaza…

Des Israéliens regardent les bombardements sur Gaza depuis une colline près de Sderot, le 12 juillet 2014 (AFP / Menahem Kahana)

Menahem Kahana est un photographe de l’AFP basé à Jérusalem.

Menahem Kahana