Visa contre l'oubli

Guillermo Arias, photojournaliste né au Mexique il y a 43 ans, vit depuis dix ans à Tijuana, la grande ville frontière traversée par tant de migrants en quête de rêve américain. Il vient de remporter un Visa d’or, prestigieux prix du festival international de photojournalisme Visa pour l’image de Perpignan. Un prix décerné à ses photographies de la “caravane”, l'immense transhumance d’hommes et de femmes ayant traversé le Mexique pour fuir misère et violence et rejoindre les Etats-Unis, à la fin de l’année 2018.  Guillermo Arias a fait le choix de la retenue et du respect de la dignité de ces migrants Voici son témoignage.

En couvrant la "Caravana", j'ai eu le sentiment de vivre un moment d'Histoire avec un grand H. Partis du Honduras, les migrants ont traversé presque 4.500 kilomètres, la plupart du temps à pied.

Mais surtout, ils ont dit "Basta" et décidé de lutter ensemble pour leur survie.

“Cette fois on part ensemble et ainsi, on se protégera entre tous”: c’était leur projet.  Le groupe a franchi trois frontières, et a grandi en route, atteignant jusqu’à 7.000 personnes.  

Cette volonté d’affronter ensemble les dangers n’a rien d’anodin. La traversée du Mexique est périlleuse. Pour les femmes par exemple: les ONG distribuent des kits contenant une pillule du lendemain car une femme sur quatre est violée sur la route.

Observer les enfants tentant de franchir les la frontière vers les Etats-Unis est toujours déchirant. 

(AFP / Guillermo Arias)

 

Parfois,  je me demande si, devenus adultes, ils comprendront pourquoi leurs parents les ont exposés à de tels dangers. La réponse est simple. Ils tentent d’échapper à de situations encore plus dramatiques.  Je pense par exemple à cette mère de famille, partie avec ses quatre filles car l’une d’entre elles avait trop  plu au chef d’un gang. “Si je reste, m’a-t-elle raconté, je devrais remettre mes filles aux gangs”. 

San Pedro Sula, ville côtière du Honduras où a commencé la caravane de l’automne 2018 est d’ailleurs l’une des plus dangereuses du monde. 

Quand je leur demandais pourquoi ils étaient partis, au premier contact, les migrants restaient pudiques... Mais dès que je creusais, ils témoignaient d’un vécu si violent ! Ils me disaient: “Regarde !” et soulevaient leur chemise pour dévoiler les cicatrices laissées par  balles et coups de couteau. Leurs vies sont marquées par une pauvreté et une violence extrêmes. Celui qui le nie n’est pas de ce monde. 

Pour les photographier je me laisse gagner par les émotions. Mais physiquement je cherche toujours aussi à faire deux pas en arrière, pour maintenir une certaine distance. La photo d’une personne en pleurs aura toujours de l’impact mais elle ne témoigne pas pour autant de toute l’histoire. Pour moi, c’est une question de maturité: ne pas chercher le drame pour le drame mais une  vision globale.

Un groupe de migrants observe la frontière américaine avant de tenter leur chance. 31 décembre 2018, Tijuana (Mexique) (AFP / Guillermo Arias)

Des centaines d’images d’enfants en souffrance ont été diffusées pendant la longue marche de l’automne 2018 mais ce n'était qu'un aspect du voyage. Réduire la couverture à ces visages en pleurs va à l'encontre de leur dignité, c’est en faire deux fois des victimes. 

La photographie qui suit est une de mes préférées. C’est la dernière qui a pu être faite du groupe tout entier. Je me suis servi d’un drone. La police locale a bloqué le passage pendant plusieurs heures.. et du coup les migrants étaient tous ensemble!

Vue aérienne de migrants du Honduras dans le sud du Mexique, non loin de la ville d'Arriaga, le 27 octobre 2018. (AFP / Guillermo Arias) (AFP / Guillermo Arias)

C’est après cette image que Trump a fait son fameux tweet sur “l’invasion” de ces “gens très méchants” qui menaçaient les Etats-Unis.

Celle-ci est originale aussi car c’est un moment intime, de repos, pris de haut, d’une manière différente. Le terrain de basket en plus venait d’être repeint!

Repos à l'air libre sur un terrain de basket, Etat d'Oaxaca, sud du Mexique, 28 octobre 2018. (AFP / Guillermo Arias)

Si je devais choisir une photo de cette couverture je prendrais sans doute celle de l'homme drapé dans la bannière étoilée. Elle date du 25 novembre 2018, lors de la première tentative collective de passage de la frontière, vers la fin de la journée... Beaucoup d’images existent sur cet instant. Là, on devine les véhicules des garde-frontières.

La photo raconte un rêve qui s’évanouit: elle dit au migrant, "tu n'es pas bienvenu ici, même enveloppé dans le drapeau des Etats-Unis".

(AFP / Guillermo Arias )

A Perpignan, où ces images ont été exposées, quelqu'un m'a demandé pourquoi mes photos sont dénuées de violence. J'ai répondu que le simple fait d'être contraint de quitter son pays était d'une grande violence. Et, puis, nous devons raconter les histoires comme elles arrivent. 

Tout le monde connaît des techniques de photojournalistes pour encourager certaines situations.

Sans être totalement malhonnêtes  il existe des méthodes pour donner davantage de force visuelle à une situation… comme se déplacer afin d’amener d’autres personnes à bouger pour qu’elles apparaissent d'une certaine manière dans le cadre.

Avec un grand angle, si tu te places à 20 cm du visage d'une personne et si elle se cache d'un geste de la main pour ne pas être prise en photo, cela donne, visuellement, une image forte. Est-elle juste d'un point de vue journalistique ?

Le photojournaliste est déjà là, c’est un acteur, mais il doit être le moins envahissant possible.

En ces temps de “fake news”, d’attaques contre les journalistes et la presse, le mieux que nous avons à faire est de communiquer de manière honnête, complète.  

Ce blog a été écrit avec Michaëla Cancela-Kieffer à Paris.

(AFP / Guillermo Arias)

 

Guillermo Arias