Quinze ans d'enlèvements d'Européens
La carte des prises d'otages
PARIS , 25 juin 2015 - Plus de 400 ressortissants européens ont été retenus en otages à l’étranger entre le 1er janvier 2000 et le 31 mars 2015, selon l'enquête menée conjointement par l’AFP et dix étudiants en journalisme de l’Institut Français de Presse.
D'après cette étude, qui a consisté en une analyse de plus de 40.000 dépêches AFP et la constitution d'une base de données, les otages européens ont perdu la vie au cours de leur détention dans plus d’un cas sur dix (13%), un chiffre élevé puisque l’objectif des ravisseurs est le plus souvent de relâcher les otages dans le but d’obtenir de l’argent ou la libération de prisonniers. Parmi eux, au moins 36 ont été assassinés.
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Dans plus de huit cas sur dix (83%), les otages européens ont retrouvé la liberté. Le sort de douze des otages recensés n’a toutefois pas pu être élucidé, et au moins cinq personnes sont toujours aux mains de leurs ravisseurs.
Près d’un otage sur deux (47%) a été délibérément relâché par ses ravisseurs après le paiement d’une rançon, des négociations réussies ou pour raisons médicales. Au moins 43 ont été libérés lors d’une intervention extérieure et 12 ont réussi à s’échapper. Huit otages sont décédés lors d’opérations de sauvetage.
Le profil des victimes
Un détenu somalien suspecté de piraterie est escorté par un gendarme pendant la reconstitution judiciaire de la libération des otages du voilier de luxe Le Ponant, le 17 juillet 2010 à Nice (AFP / Valéry Hache)
Sur les 410 otages recensés parmi les 30 pays étudiés (Union européenne, Suisse, Norvège), l’étude a dénombré 110 Français, 65 Britanniques, 49 Italiens et 44 Allemands.
Parmi les plus peuplés d’Europe, ces quatre pays sont aussi très représentés à l’étranger (de 1,5 à 2 millions de Français sont expatriés selon le Quai d’Orsay). La France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie sont également engagés dans de nombreux domaines - économiques, touristiques et parfois militaires – au sein de pays où les risques de prise d’otages sont élevés.
Parmi la centaine d’otages de nationalité française, 35 enlèvements (dont les 22 membres d’équipage du voilier de luxe Le Ponant victimes de pirates en 2008) ont eu lieu en Somalie, 10 en Irak et 8 au Niger entre 2000 et 2015.
D’autres facteurs, parmi lesquels la « valeur » des otages selon leur nationalité mais également la non-médiatisation de certains cas, permettent d’expliquer les importantes différences du nombre d’otages dans chaque pays.
258 (63%) étaient des hommes, et 88 (21%) étaient des femmes, le genre de 64 autres restant inconnu.
La présence dans le pays
71% des ressortissants européens capturés se trouvaient dans le pays pour des raisons professionnelles lors de leur prise d’otages. Parmi eux, les trois groupes professionnels les plus concernés par les prises d’otages sont par ordre décroissant les travailleurs humanitaires (20%), les journalistes (19%) et les marins (11%) Viennent ensuite les travailleurs expatriés dans les secteurs du pétrole, de l’ingénierie et de la construction.
19% des otages recensés faisaient du tourisme.
D’après les résultats de l’enquête, le nombre de soldats retenus en otage est très faible – seulement deux cas recensés. L’hypothèse la plus probable est que les états-majors ne médiatisent pas les cas de soldats victimes de rapts. Ces conclusions doivent néanmoins être nuancées par le nombre élevé d’otages dont la profession n’a pas été communiquée (16% des cas).
Les régions à risques
Les prises d'otages en Syrie depuis 2012
Sur la période étudiée, les otages européens ont été kidnappés dans 36 pays différents. Plus de 38% d'entre eux ont été retenus en Afrique subsaharienne et 33% au Moyen-Orient.
Le nombre d’otages retenus dans chaque pays dépend largement de la longueur des périodes d’instabilité politique ou de conflits. Ainsi, 45 otages européens ont été répertoriés au Nigéria, 51 en Irak et 51 en Somalie, soit 13% du total pour chacun de ces deux pays.
31 otages européens ont été répertoriés en Syrie, qui émerge parmi les pays les plus à risque depuis 2011.
Des durées de captivité très variables
En moyenne, les otages recensés sont restés captifs 230 jours, mais 22 % d’entre eux ont été retenus moins de 72 heures.
Selon les pays et les groupes terroristes, la durée de l'enlèvement peut varier de manière considérable. Par exemple, en Irak, les temps de captivité sont généralement très courts (la moitié ne dépasse pas 31 jours). La Colombie est le pays où les otages sont retenus le plus longtemps (près de deux ans en moyenne pour les 13 cas recensés) — la franco-colombienne Ingrid Betancourt retenue par les FARC de 2002 à 2008 fait partie des otages retenus le plus longtemps.
Des anecdotes inattendues
L’analyse des données a également fait émerger plusieurs cas inattendus. Le cas de Stephen Farrell, journaliste irlando-britannique au Times puis au New York Times, a par exemple eu le malheur d’être capturé à trois reprises au cours de sa vie.
En 2004, ce journaliste avait été capturé puis libéré au bout de huit heures par des insurgés sunnites lors de la guerre en Irak - première bataille de Fallujah. Cinq ans plus tard, en 2009, Stephen Farrell était de nouveau été capturé, cette fois dans le nord de l’Afghanistan, et libéré au bout de quatre jours grâce à une opération militaire. Enfin, en mars 2011, le reporter était arrêté par les troupes de Mouammar Kadhafi et détenu pendant six jours alors qu'il couvrait les combats en Libye.
Le cas de Marc Gonçalves est également assez surprenant. En 2003, au cours d’une opération antidrogue, ce ressortissant américano-portugais était à bord d’un avion survolant la Colombie. Attaqué par des missiles, l’avion a été contraint de se poser. A peine l’appareil avait-il touché le sol qu’il a été attaqué par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) qui enlevaient Marc Gonçalves ainsi que deux Américains. Les trois hommes ne furent libérés que cinq ans plus tard, le 2 juillet 2008, lors de l’opération militaire qui avait libéré Ingrid Betancourt.
Méthodologie
Les ressortissants français otages dans le monde
Ce projet d’enquête a été initié par l’AFP en partenariat avec dix étudiants de l’Ecole de journalisme de l’Institut Français de Presse et la startup Journalism++.
Pendant neuf mois, ces étudiants ont pris part à la lecture et à l’analyse approfondie de plusieurs dizaines de milliers de dépêches et d’articles en ligne concernant des prises d’otages de ressortissants européens depuis l’année 2000.
L’objectif était de recenser dans une base de données l’ensemble des Européens retenus en otages dans un pays étranger (européen ou non) par un groupe non-souverain, quelle que soit la durée de sa captivité.
Les dépêches, en français et en anglais, ont été triées et sélectionnées lorsqu’elles contenaient le mot-clé “otage”, “hostage” ou “kidnapping”.
Le dossier « Otages », dont fait partie cet article, a été réalisé par des étudiants en journalisme de l'Institut français de presse dans le cadre d'un partenariat avec l'AFP.