Une petite fille qui a échappé au massacre du camp de Kibeho du 22 avril 1995 suce son pouce le 28 avril dans un centre de transit à Butare (AFP / Pascal Guyot)

Plus de 1.100 enfants seuls après le massacre de Kibeho

De l'envoyée spéciale de l'AFP, Annie THOMAS

BUTARE (Rwanda), 26 avr 1995 - Les petits pieds nus laissent dans la boue de la cour des empreintes vite effacées par la pluie. Les enfants "non accompagnés" de Kibeho, venus du camp de déplacés presque vidé le temps d'un massacre, sont déjà plus de 1.100.

Depuis dimanche, des centaines sont amenés chaque jour à l'ancien "centre de formation pédagogique" de Butaré, devenu un centre pour enfants sans parents géré par l'association "Feed the Children".

Plusieurs centaines, des bébés, des malades ou des blessés, ont été transférés dans différents centres, qu'on n'appelle plus orphelinats. Il en restait mardi 631, âgés de 4 jours à 15 ans, et il en arrivait encore.

Couchés en travers de matelas posés sur le sol d'une des pièces du centre, 17 bébés de moins d'un an attendent une maman qui, dans neuf cas sur dix, ne viendra pas. L'un d'eux a été trouvé accroché au sein de sa mère morte. Plusieurs sont des nouveaux nés.

Dans une autre salle, une quarantaine de tout jeunes enfants, de 1 à 3 ans, pleurent à tour de rôle. Comme les bébés, ceux-là ont été lavés et leurs vieux habits déchirés de réfugiés ont été jetés. Mais ils n'en ont pas encore reçu de nouveaux vêtements - ils doivent arriver mercredi - et sont donc tout nus.

Selon Bernard Rabesanala de Meritens, coordinateur de "Feed the Children", la moitié des 1.100 enfants accueillis depuis dimanche, presque tous en provenance du camp de Kibeho, ont moins de 3 ans.

Sans famille

Plus de la moitié ne savent pas comment ils s'appellent, ni d'où ils viennent.

En trois jours, quatre femmes sont venues au centre pour tenter de retrouver leurs enfants perdus dans la panique. Deux les ont retrouvés, deux autres sont reparties désespérées.

Des messages sont diffusés par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dans les "camps de transit" où sont provisoirement installés les déplacés de Kibeho et des autres camps, eux aussi fermés. On demande aux parents qui ont perdu un enfant d'aller voir en priorité au "centre de transit" pour le retrouver.

Toutes les démarches seront entreprises pour tenter de réunir les familles, mais Bernard en est sûr, beaucoup d'enfants ne retrouveront jamais leurs parents, parce qu'ils n'en ont plus.

Ce centre devrait donc fonctionner pendant au moins six mois. Des tentes ont été montées dans le jardin par l'UNICEF (Fonds des Nations unies pour l'Enfance), qui donne aussi des couvertures et du lait en poudre. Action Nord Sud envoie des vêtements. Le Comité international de la Croix-rouge (CICR) et Catholic Relief Services (CRS) donnent à manger. Les couches des bébés, dont on commence à manquer, sont fournies par Care Australia, qui soigne aussi les enfants malades.

Presque tous ceux arrivés de Kibeho toussent, parce qu'ils ont passé plusieurs nuits dehors, sous la pluie. Il faut soigner les pneumonies, les dysenteries, tenter de remédier à la malnutrition dont souffrent tous les enfants.

Plus de 200 personnes, Rwandais et expatriés, travaillent dans ce centre de transit, qui a besoin d'assistance.

"Nous avons besoin de l'aide internationale, certainement beaucoup plus difficile à mobiliser maintenant qu'il y a un an", remarque David Grubb, directeur exécutif de Feed the Children.

Portant encore leurs guenilles couleur de terre, les enfants tout juste arrivés errent dans la cour, pieds nus, bras ballants. Jusqu'à ce qu'ils inventent des jeux, avec un vieux couvercle, une boîte de conserve, un petit bâton, et sourient à tous ces gens qui s'agitent autour d'eux.

at/ms