Le pape François parle avec des journalistes pendant le vol vers le Brésil, le 22 juillet 2013 (AFP / Luca Zennaro - pool)

Pape et journalistes: l'abattement d'une frontière invisible

CITE DU VATICAN, 8 août 2013 – Il n'a certes pas le charme médiatique de Karol Wojtyla, pas non plus la réserve douce et éthérée de Joseph Ratzinger. Il est davantage un homme modeste et simple, qui semble parfois négliger le fait qu'il est pape. Un homme qui parle naturellement, qui s'interroge devant ses interlocuteurs. Cette parole directe, les journalistes ont pu l'expérimenter fin juillet dans l'avion qui ramenait le pape François de Rio à Rome après une visite où il a su conquérir le cœur de  millions de Brésiliens et de jeunes catholiques.

A leur grande surprise, à l'issue de ce voyage épuisant, François a consacré aux journalistes une heure et quart de son temps. Pas de questions envoyées à l'avance. Seul le père Federico Lombardi, son porte-parole, jésuite comme lui, était à ses côtés. Un dialogue sans filet. Et le pape ne s'est jamais pris dans ses mailles. Debout, les mains posées sur l'appui-tête de la première rangée, l'œil parfois pétillant, souvent grave, il a dialogué, regardant chaque interlocuteur dans les yeux. Il est resté droit comme un I au milieu des turbulences. A la fin de ce long exercice, après avoir parlé sereinement de tout, et notamment du thème particulièrement délicat  des prêtres homosexuels dans l'Eglise, il a été applaudi par les journalistes, croyants et non croyants.

Le pape François parle avec des journalistes pendant le vol vers le Brésil, le 22 juillet 2013 (AFP / Luca Zennaro - pool)

«Nous devons être normaux. Nous devons nous habituer à être normaux»,  a-t-il dit à un journaliste qui lui demandait pourquoi, quand il voyageait, il ne faisait pas porter son sac de voyage par un de ses collaborateurs, et le tenait toujours à la main. La simplicité tant vantée de François n'est pas seulement une apparence.

C'était la première conférence de presse depuis que Jorge Mario Bergoglio a été élu pape le 13 mars dernier. Un mode de contact complètement nouveau. A l'aller vers Rio, chacun avait pu se présenter à lui, lui parler. «Priez pour moi», avait-il répondu à chaque journaliste. Il avait tutoyé plusieurs d'entre eux qu'il connaissait personnellement, à Buenos Aires. Au retour, il est  même revenu à l'arrière de l'avion avant l'atterrissage sur l'aéroport italien de Ciampino. Il semblait avoir bien dormi. Il a salué une dernière fois les journalistes.

Le pape François porte lui-même sa serviette, le 22 juillet 2013 à l'aéroport de Rome Fiumicino (AFP / Alberto Pizzoli)

Tout cela, jamais Benoît XVI ne l'avait fait, même s'il n'était pas un homme froid mais réservé. Tout était programmé. Le pape allemand répondait à des questions dont il avait reçu les textes à l'avance. Il s'exprimait avec une grande classe mais ne se hasardait pas à engager un dialogue. Il était aussi entouré de son secrétaire d'Etat, de son substitut, de son secrétaire particulier. Autant de calottes rouges et violettes à ses côtés, qui semblaient veiller sur lui, l'encadrer. Avec François, seul un homme en blanc faisait face aux micros et aux caméras.

Avant le voyage, pourtant, le père Lombardi avait averti que le pape argentin n'aimait ni les interviews, ni les conférences de presse. François s'en était expliqué lui-même à l'aller: «c'est pour moi un peu pénible». Il ajoutait avec humour qu'il avait l'impression d'entrer «dans la fosse aux lions».

Pourquoi s'est-il alors livré de si bonne grâce à soixante-dix journalistes? Je ne pense pas que le pape argentin se soit mis subitement à aimer les conférences de presse.

AFP / Osservatore Romano

Sauf dans le contact avec la foule, il a un tempérament plutôt timide, il se méfie peut-être effectivement des médias, il n'aime pas entrer dans les polémiques. Son esprit jésuite lui a appris l'habilité dans le débat mais aussi une certaine réserve. Mais il a dû se dire que ces journalistes vaticanistes qui l'avaient suivi pendant une semaine méritaient un effort de sa part. Et que le prix exorbitant qu'ils avaient dû acquitter pour être dans l'avion valait bien ce sacrifice. Sans doute a-t-il été informé d'une certaine amertume des médias, et il a décidé au dernier moment de se présenter devant eux.  Cela aussi, cette adaptabilité, est un facteur nouveau.

Il savait sans doute qu'il devait bien y passer un jour ou l'autre. Pour s'imposer auprès d'eux, se faire mieux connaître une fois pour toutes, dissiper des ambiguïtés, rappeler qu'il n'entend pas être une star mais un simple messager. Et faire passer ce message d'une Eglise miséricordieuse. Il y a plutôt bien réussi. Il a maîtrisé parfaitement sa parole.  Il a su ne pas entrer dans un débat sur des sujets contentieux comme l'avortement ou le mariage gay: «les jeunes savent parfaitement quelle est la position de l'Eglise sur ces sujets», a-t-il tranché sèchement, en réponse à une journaliste brésilienne qui lui demandait pourquoi il n'avait pas parlé de ces sujets aux jeunes catholiques à Rio.

Journalistes pendant une audience du pape place Saint-Pierre, fin mars 2013 (AFP / Gabriel Bouys)

Il a aussi des formules excellentes, puisées dans la culture italienne de ses grands-parents. Ainsi il a montré qu'il ne tenait pas en haute estime un prélat du Vatican, Mgr Nunzio Scarano, arrêté récemment pour corruption: «Je crois qu'il va rester en prison. Il n'y est pas allé parce qu'il ressemblait à la bienheureuse Imelda!» s'est-il moqué.  La bienheureuse Imelda était une petite mystique italienne morte à l'âge de 12 ans au XIVème siècle et symbole de l'innocence….

Croire qu'il y aura régulièrement d'autres conférences de presse, aussi riches d'enseignements de toutes sortes, et qu'il sera possible de rencontrer le pape quand on veut au Vatican est une illusion.

Le plus petit Etat du monde n'est pas devenu plus transparent, ni les couloirs décorés de fresques plus courts pour arriver à la bibliothèque où le pape reçoit ses hôtes. A la résidence Sainte-Marthe où il réside, on ne peut non plus accéder librement. Des gendarmes et des gardes suisses sont de faction.

Le compte Twitter officiel du pape en français

De même, et cela peut donner une autre impression de sa proximité, le pape est présent sur Twitter. En neuf langues. Sept millions de «followers». Mais ses tweets ressemblent beaucoup à ceux de Benoît XVI, ils parlent de Dieu, Jésus, Marie. Le pape ne répond jamais à un tweet particulier. Les siens sont d'ailleurs rédigés par ses collaborateurs.

Ce qui a changé au Vatican, c'est l'ambiance. Il y a comme une décrispation, c'est aussi un effet d'image générale : l'image étant meilleure, les choses sont vues autrement, de manière moins caricaturale qu'avant. Le porte-parole Lombardi s'est lui-même détendu. Il n'hésite pas à plaisanter dans les briefings sur les gestes imprévus du pape ou son caractère infatigable. Il a droit par moment à des applaudissements.

Le jésuite qui avait été choisi par le pape Benoît XVI comme son fidèle porte-parole, avait eu des moments difficiles, quand les questions tournaient autour des scandales de pédophilie ou de Vatileaks. Il semble prendre goût à son nouveau maître, qu'il ne connaissait pas avant son élection.

Certains cardinaux qui sont proches de François, comme le Hondurien Oscar Andres Rodriguez Maradiaga, semblent visiblement heureux de ce nouveau chef. Mais d'autres semblent avoir plus de mal à se positionner. Ils ont tous été prolongés, provisoirement, à la Curie, en attendant les grands remaniements de l'automne. Le cardinal secrétaire d'Etat en sursis,Tarcisio Bertone (photo ci-dessous), omniprésent sous Benoît XVI, ne se fait plus beaucoup voir.

Le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d'Etat du Vatican, en mars 2013 (AFP / Gabriel Bouys)

Certains au Vatican reprochent sotto voce au nouveau pape de ne pas maintenir assez de distance, de parler peut-être un peu trop, d'être trop miséricordieux, d'enfoncer des portes ouvertes; certains ajoutent que sa parole ne vaut pas théologiquement celle de son prédécesseur. Cela se lit entre les lignes, entre les lèvres, comme un petit regret, une petite nostalgie, l'expression d'un léger malaise. Même si François ne cesse de se référer à Benoît.

Le débat entre ses nombreux partisans et ceux qui ne sont pas enthousiastes se répercutent à la salle de presse, entre vaticanistes, dans des débats animés et toniques. Il y a ceux qui sont inconditionnels du nouveau venu, qui voient une «révolution» en cours dans l'Eglise ou qui jugent simplement que ce pape, tout à fait dans la ligne de ses prédécesseurs pour la doctrine, sait rapprocher la papauté des fidèles. Et il y a ceux qui ne l'aiment pas, qui voient une entreprise de désacralisation, de «protestantisation» de l'Eglise en marche. Ces derniers lui reprochent d'être descendu de son piédestal, de parler de choses incongrues, voire de trahir l'Eglise. Ils se demandent –et on peut parfois se le demander avec eux de manière ironique et paradoxale– si cet homme qui professe son amour absolu pour l'Eglise ne serait pas en même temps un peu… anticlérical!

Prière de l'Angelus sur la place Saint-Pierre, le 4 août 2013 (photo: AFP / Tiziana Fabi)

Jean-Louis de la Vaissière est le correspondant de l'AFP au Vatican.

Jean-Louis de La Vaissière