Une équipe de Médecins sans frontières soigne un bébé d'un mois atteint par du schrapnel au visage à Kigali, le 28 mai 1994 (AFP / Gérard Julien)

Ogni, un bébé né dans les flammes

De l'envoyée spéciale de l'AFP, Annie THOMAS

KIGALI, 16 avr 1994 (AFP) - Ogni a été jetée par-dessus le mur juste après sa naissance. A cause de la guerre, sa mère ne pouvait sûrement pas la garder. Le bébé a été récupéré par les réfugiés du stade Amahoro, la base du contingent bangladeshi à Kigali. Un soldat l'a baptisée Ogni, qui veut dire "flamme" en bengali. "Parce qu'elle est née dans les flammes", dit le Casque bleu.

Vendredi, le bébé de deux jours buvait le lait que lui donnait Philomène, une infirmière rwandaise qui doit faire des miracles pour les quelque 4.500 "déplacés" rwandais qui ont trouvé refuge au stade depuis la reprise de la guerre civile, le 6 avril.

Un peu plus loin, à l'hôpital roi Fayçal, ils sont 4.000. Dans le reste du pays, des dizaines de milliers de Rwandais ont été jetés sur les routes par la peur d'être massacrés.

Dans "l'infirmerie", sous les tribunes du stade, un jeune homme est allongé sur une natte. Son corps est agité de tremblements. Il a la tête bandée, les yeux gonflés. Le pansement est sale et il va falloir le refaire. Après, il retournera quelque part dans le stade, parce qu'il n'y a pas de chambre. Peut-être qu'il survivra au coup de machette qu'il a reçu.

Le stade Amahoro est en pleine zone contrôlée par le Front patriotique rwandais (FPR), non loin de sa base, l'ancien parlement. Depuis quatre mois, il sert de quartier général à un bataillon du Bangladesh de la Mission des Nations unies pour l'Assistance au Rwanda (MINUAR).

Tout manque

Depuis le 6 avril, il sert aussi de camp de réfugiés, où tout manque. Les vivres, les médicaments, l'eau, les lits, les latrines. Ils étaient 4.300 réfugiés jeudi, et 97 autres sont arrivés vendredi, des quartiers voisins pour la plupart. Ils étaient cachés depuis le début des massacres et des combats entre FPR et forces gouvernementales. Puis ils ont finalement fui leur maison, parce qu'ils n'avaient plus rien à manger ou avaient vraiment trop peur pour rester seuls.

"Hutus, Tutsis, on ne compte pas comme ça. Ici, nous sommes tous mélangés. Le seul problème, c'est que nous avons dû quitter notre maison", explique Elie Malere, coordinateur de la "croix-rouge du stade Amahoro". Des dossards de fortune ont été confectionnés, avec des croix rouges dessinées au feutre, pour Elie et son équipe.

Placé sur la ligne de front, le stade est souvent pris sous le feu croisé des gouvernementaux et des rebelles. Selon le colonel Islam Nazrul, commandant du bataillon basé au stade, quatre obus sont tombés dans le stade, et une centaine tout autour. Deux réfugiés ont été tués par un de ces obus et une douzaine blessés.

Un médecin rwandais explique qu'il ne peut pas faire grand chose pour les blessés, qui seraient environ 200. Les quelques médicaments que les réfugiés avaient apportés avec eux sont épuisés. "Il nous faudrait des antibiotiques, parce que les plaies pourrissent, des anti-malaria, des anti-diarrhée, des pansements", se lamente-t-il.

Pour la nourriture, c'est la même chose. Les soldats bangladeshis puisent dans leurs réserves. Mais il ne reste presque plus rien. "Nous pouvons les nourrir encore pendant un ou deux jours", s'inquiétait vendredi le colonel Nazrul.

Ogni boit son lait et, selon Philomène, "une maman la prendra en charge quand tout ça sera fini". Ogni est née dans les flammes, mais elle a été sauvée par les gens de l'Amahoro. En kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda, amahoro veut dire paix.

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