Quand les secondes durent des heures

Oli Scarff travaillait sur son ordinateur entre deux épreuves des Mondiaux de natation à Budapest quand il a réalisé qu'un drame était en train de se jouer. Prises à l'aide d'un robot télécommandé, ses photos subaquatiques exclusives du sauvetage de la nageuse américaine Anita Alvarez par sa coach Andrea Fuentes ont fait le tour du monde.

 

L'américaine Anita Alvarez en pleine compétition aux Mondiaux de natation, le 22 juin 2022, avant son malaise (AFP / Oli Scarff)

 

Budapest – Mercredi 22 juin dans l'après-midi, les Championnats du monde de natation suivent leur cours dans le bassin du complexe Alfred-Hajos de Budapest, quand Anita Alvarez perd connaissance et coule à pic juste après avoir achevé sa performance en finale de natation synchronisée solo libre.

Oli Scarff est en tribune de presse, en train de trier les photos qu'il vient de prendre.

"Tout d'un coup, j'ai perçu une certaine agitation. J'ai levé la tête et vu que l'entraîneure d'Anita était dans l'eau. J'ai regardé vers où elle nageait et aperçu une forme sombre au fond de la piscine", témoigne-t-il.

 

(AFP / Oli Scarff)

 

Pour couvrir l'épreuve, ce Britannique de 41 ans, un des quatre photographes de l'AFP couvrant la compétition, a installé un appareil photo télécommandé au fond du bassin. Il a le réflexe de regarder l'écran de contrôle et de saisir le manette de jeu vidéo qui active l'appareil. 

"Le robot était resté en position, je n'ai eu qu'à baisser un peu l'angle de prise de vue vers le fond de la piscine. Ensuite j'ai pu photographier tout le processus de sauvetage en manipulant le robot. J'ai probablement pris 100 photos…", indique-t-il.

Ses images du sauvetage sont reprises par une multitude de médias à travers le monde. Durant 24 heures, elles occupent cinq des six premières places des contenus les plus populaires sur Facebook parmi les grands médias occidentaux.

Elles montrent Anita Alvarez inanimée par trois mètres de fond, puis Andrea Fuentes la rejoignant, et enfin la hissant à la surface.

 

L'entraineure américaine Andrea Fuentes (à gauche) porte secours à la nageuse Anita Alvarez (au centre) après son malaise lors des Mondiaux de natation à Budapest le 22 juin 2022. (AFP / Peter Kohalmi)

 

Développée par un photographe de l'AFP, François-Xavier Marit, depuis les Jeux olympiques d'Athènes de 2004, la pratique de la photographie subaquatique d'épreuves sportives a depuis été adoptée par plusieurs autres grands médias.

Mais ce jour-là, seul Oli Scarff est en place.

Pour autant, il fait le choix de ne pas diffuser immédiatement ses photos. "Je sentais que c'était une histoire importante, mais on ne savait pas dans quel état se trouvait Anita".

 

La nageuse américaine Anita Alvarez (au centre) enlacée par ses coéquipières le 24 juin 2022 à Budapest, deux jours après son malaise dans la piscine lors d'une compétition des Mondiaux de natation (AFP / Peter Kohalmi)

 

Heureusement, "on a eu assez rapidement une annonce du speaker disant qu'Anita était en soins, puis un peu plus tard qu'elle allait bien et que son état était stable. C'est à ce moment qu'on a décidé de passer les images".

Sur la centaine de photo prises, il en conserve huit, couvrant toute la séquence. La sélection sera complétée par deux images prises hors de l'eau par un autre photographe de l'AFP, Peter Kohalmi.

Au moment de la prise de vue, Oli Scarff a fait le choix d'un plan large, qu'il a également maintenu au moment de l'édition. "J'ai décidé de ne pas zoomer dans la photo afin de montrer à quel point Anita était isolée au fond de la piscine", perdue dans un océan de bleu.

Acclamé pour son travail, Oli Scarff a aussi eu droit à un hommage de l'intéressée. "Au début, j'étais choquée. Je ne m'attendais pas à ce que quelque chose comme ça soit publié", a déclaré la nageuse américaine de 25 ans au quotidien espagnol El País. 

"Mais ensuite, j'ai regardé les choses du bon côté. Maintenant, je trouve que les photos sont belles d'une certaine manière. Me voir comme ça sous l'eau, si paisible, si calme, et de voir Andrea plonger avec son bras tendu en essayant de m'atteindre, comme une super-héroïne…", a-t-elle ajouté. 

 

Un robot subaquatique renfermant un appareil photo télécommandé, installé par le photographe AFP François-Xavier Marit lors des Jeux Olympiques de Tokyo, le 26 juillet 2021 (AFP / Francois-Xavier Marit)
Le photographe de l'AFP Oli Scarff utilisant le robot subaquatique, le 24 juin 2022 lors des Mondiaux de natation à Budapest (AFP / Francois-Xavier Marit)

 

Basé dans le nord de l'Angleterre et collaborateur de l'AFP depuis 2014, Oli Scarff, n'en reste pas moins "secoué" par l'incident.

"Mon expérience m'a amené dans des endroits où il était un peu dangereux de faire des photos, mais on y est préparé mentalement. Là ce n'était pas le cas du tout, j'étais juste préparé à faire de belles photos et d'un coup d'un seul je me retrouve à photographier quelqu'un à deux doigts de perdre la vie."

"C'était choquant parce qu'on est passé sans transition de quelque chose de magnifique, la natation artistique, une performance athlétique incroyable qui donne des photos super, à une séquence où quelqu'un frôle la mort. Tout le monde regardait à travers le miroir de l'eau, mais moi je le voyais en toute netteté sur l'écran, en direct", rappelle-t-il.

Sitôt Anita Alvarez tirée de l'eau et jugée hors de danger, les épreuves se sont poursuivies. "Il y a eu une nageuse autrichienne puis une Grecque. Sa bande musicale était +The show must go on+. Juste après cet incident, ça faisait un effet assez étrange", souligne le photographe, qui a déjà couvert plusieurs grandes compétitions de natation par le passé.

 

Texte et interview par Philippe Schwab. Edition par Fiachra Gibbons et Jessica Lopez.