Après le brasier

Je me trouvais à Greenville, dans le nord de la Californie, quand les flammes ont dévasté plus d’une centaine de maisons, réduisant en cendres des décennies de souvenirs dans ce qui est devenu l’un des pires incendies de forêt que l’Etat ait jamais connu.

J’ai découvert, en état de choc, le tas de débris fumants que furent la poste, la caserne des pompiers, la banque, le musée et plusieurs commerces entièrement consumés. Des carcasses d’animaux calcinés gisaient sur le bas-côté des routes et autour des maisons.

Je ne peux m’empêcher de me demander comment ceux qui sont restés sur place ont survécu à cette tempête de feu qui a déferlé sur la ville.

Ca fait des années que je photographie les incendies mais j’avoue que Dixie, qui ravage la Californie depuis la mi-juillet, est un monstre. Chaque année, l’Etat est traversé par des feux mais ceux que je vois se produire maintenant atteignent de nouveaux  extrêmes. Les  arbres et les buissons sont terriblement  secs à cause de la sécheresse sévère qui frappe la région et les températures sont plus élevées, les vents plus forts et l’ensemble de moins en moins hospitalier.

J’ai vu les pompiers mener de vains assauts avant d’être arrêtés à 100 mètres par des flammes hautes comme des tours, parvenant à sauver quelques maisons mais perdant la plupart des autres.

Vingt-quatre heures après avoir dévasté Greenville, le feu rugissait toujours. A un moment, il s’est divisé en quatre colonnes de fumées et de cendres, cernant la ville entière déjà incendiée. Les feux comme Dixie parviennent à créer leur propre climat, ce qui les rend d’autant plus imprévisibles.

C’est comme ça que je me suis retrouvé coincé sur une route, entre deux murs de flammes de près de 100 mètres de haut. Des murs de feu.

Sans savoir vers où  me diriger et sans pompiers en vue, j’ai été obligé de conduire à travers un corridor incandescent. En état d’urgence, j’ai commencé à penser à trouver un refuge et à quelle était la zone la plus sûre – même s’il n’y en avait aucune. Je devais juste foncer devant moi.

Le feu n’était pas alors la seule menace. Le vent puissant en était une autre. Des branches d’arbres en feu volaient de toutes parts sur mon camion, et j’ai cru que mon pare-brise allait éclater. Je traversais des braises rougeoyantes et j’ai croisé une tornade de cendres qui ne demandaient qu’à s’enflammer. Je naviguais dans une fumée si épaisse que je ne pouvais même pas apercevoir la signalisation au sol.

Mais rien de tout cela ne constituait la principale menace.

Celle-là provenait des arbres énormes qui brûlent jusqu’aux racines avant de s’effondrer, brisés par le feu. On entend constamment leurs craquements sinistres et parfois ils tombent en travers de la route. Un arbre a ainsi atterri sur une équipe de pompiers, faisant des blessés parmi eux. Un autre s’est abattu juste devant moi alors que je prenais des photos du brasier.

Heureusement, j’ai acquis des années d’expérience et de connaissance des incendies, comment ils se comportent et comment ils évoluent. C’est ainsi que je sais comment me donner le maximum de chances de m’en sortir.

Les habitants des petites villes et communautés rurales sont vulnérables face aux feux et doivent souvent répondre à un ordre d’évacuation immédiat devant une menace imminente, comme c’était le cas à Greenville – ordre fondé, pour de bonnes raisons.

Cette fois, en plus de la couverture de l’incendie je voulais essayer quelque chose de complètement nouveau, de lancer des séries « Avant/Après » pour montrer comme le feu peut être dévastateur. Le défi, bien sûr, était  d’anticiper ce qui risquait de brûler avant que ça ne disparaisse. Alors j’ai pris mes propres paris.

A Greenville, environ une semaine avant l’incendie de la ville, la fumée obscurcissait déjà le soleil et le ciel était devenu rouge foncé. C’est à ce moment-là que j’ai pris la plupart de mes photos « Avant ».  Je suis même rentré dans le bar où, en dépit de l’ordre d’évacuation, les habitants continuaient de boire et de jouer aux dés.

Ils ont survécu, pas le bar.

J’espère qu’avec cette série, les gens réaliseront l’intensité du danger que les incendies de forêt peuvent constituer. Surtout, j’espère que les histoires que je raconte avec mes photos donnent une juste représentation de ce que ça signifie de se trouver au milieu de telles tempêtes de feu.

Être tranquillement au bar à écluser des bières avec ses copains. Et une minute plus tard, voir sa ville entière réduite en cendres.

Josh Edelson