(AFP / Romeo Gacad)

En Birmanie, un nouveau départ bien arrosé

RANGOUN – Quand j’apprends que mon arrivée à Rangoun va coïncider avec le Thingyan, la « fête de l’eau » qui marque le Nouvel an birman, je suis absolument fou de joie. Je viens de prendre mes fonctions de responsable photo de l’AFP en Birmanie et j’ai le pressentiment que la fête va être un peu différente cette année.

C’est une tradition bouddhiste qui remonte à très loin. Pendant quatre ou cinq jours, partout dans les rues, tout le monde s’asperge copieusement d’eau avec tous les moyens à leur disposition: seaux, bassines, lances d’arrosage, pistolets à eau... C’est une façon symbolique de se purifier et de célébrer le changement de saison.

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Le Thingyan promet d’être particulièrement festif cette année, alors que la Birmanie est en train de devenir une démocratie après plus de cinquante ans de dictature militaire. C’est cet aspect-là que je veux montrer: l’immense excitation dans les rues, où la plupart des gens que je rencontre me disent qu’ils sont beaucoup plus heureux depuis que le nouveau gouvernement est en place.

En cette année bissextile, le festival dure cinq jours. Pour préparer mon reportage, je commence par regarder les photos qui ont été prises les fois précédentes. J’ai envie de faire quelque chose de différent, montrer davantage la célébration populaire, et laisser tomber les symboles commerciaux et les installations mises en place par les grandes entreprises pour le Thingyan.

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Ce qui me surprend le plus, c’est le nombre de lances à incendie utilisées pour les célébrations. Il y en a des centaines. Elles sont exactement du même modèle que celles utilisées par les pompiers. La pression est très violente. Si vous êtes touché par le jet d’eau, vous vous retrouvez les quatre fers en l’air. Donc je fais mon possible pour les éviter…

Tous les jours, je rentre trempé. Mais je m’amuse bien. Je pratique la plongée sous-marine et le premier jour, je décide de protéger mon équipement comme si je devais l’emmener sous l’eau. Mon Nikon D4 est enfermé dans un caisson transparent étanche. Mon téléphone est rangé à l’abri dans une pochette hermétique, et je dispose également de deux serviettes de toilette enveloppées dans du plastique pour le cas où il me faudrait essuyer mon matériel. Avec toutes ces mesures de protection, je peux me lancer au cœur de la bataille aquatique sans rien craindre de plus qu’une bonne douche.

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Dans certaines grandes avenues, il y a des gradins disposés de part et d’autre de la chaussée. Des hommes, des femmes et des enfants y sont installés sur deux rangées en brandissant des centaines de petits tuyaux d’arrosage à haute pression d’au moins dix ou quinze mètres de portée. Les plus âgés se servent de lances encore plus puissantes. L’alimentation en eau se fait à partir de camions citernes équipés de pompes et de générateurs électriques.

Partout, les gens dansent, crient, arrosent les autres et se font arroser. Piétons, voitures, camions : personne n’y échappe. Les enfants se servent de pistolets à eau, de baquets en plastique ou de n’importe quel récipient pouvant servir à mouiller son prochain jusqu’aux os. Dans certaines parties de la ville, l’eau provient du réseau de distribution municipal et a l’air à propre et transparente. Mais dans d’autres, elle est puisée dans des puits profonds et elle a une douteuse couleur marron.

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En ce moment, c’est le plein été en Birmanie. Les températures atteignent 41 ou 43 degrés pendant la journée. Certains arroseurs balancent de l’eau tiède. D’autres mettent des blocs de glace dans leurs énormes réservoirs afin d’obtenir une eau très froide. Le premier jour, alors que suis posté à un carrefour et que je m’apprête à prendre une photo, quelqu’un arrive par derrière et me verse une eau glaciale dans le dos. Je saute en l’air et je pousse un hurlement de surprise. Je me retourne. Les coupables sont une bande de très jeunes enfants qui se tordent de rire en voyant ma réaction. Les voir rigoler me fait rire aussi.

Ce n’est pas toujours facile de prendre des photos face à des types qui vous visent avec des lances à incendie. Souvent, je ne regarde même pas dans le viseur. J’essaye simplement de calculer mon coup et de prendre des images à la volée tout en esquivant les jets d’eau. De toute façon il est difficile de regarder dans le viseur à travers le caisson étanche. Bref je ne sais jamais exactement quelle photo je suis en train de prendre. C’est la raison pour laquelle, à partir du deuxième jour, je décide de me passer de protection hermétique.

La première journée m’a beaucoup appris sur la façon de protéger un appareil photo contre l’eau. Dès que je vois quelqu’un me viser avec une lance, je mets vite mon matériel à l’abri. L’appareil est un peu mouillé, mais c’est un bon modèle professionnel conçu pour résister à la pluie et, jusqu’à un certain point, aux éclaboussures. Quand je juge qu’il est trop trempé, je vais dans un endroit sûr, derrière un arbre par exemple, où je peux enlever le filtre, tout essuyer avec une serviette et attendre que tout sèche un peu avant de me replonger dans l’action.

J’évite les grandes artères. Je préfère m’aventurer dans les ruelles où les enfants jouent avec des pistolets à eau. A un moment, un taxi s’arrête près de là où je me trouve, avec une famille à l’intérieur. Une nuée d’enfants s’approche du véhicule et se met à asperger l’intérieur à travers les vitres baissées. Les passagers essayent désespérément de se protéger. En vain. Ils finissent complètement rincés.

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Mais personne ne se fâche. Tout le monde prend ça à la rigolade, y compris le chauffeur du taxi. Comme tous ses collègues, il s’est correctement préparé pour le Thingyan en recouvrant ses banquettes avec du plastique.

Je travaille dans la rue du matin jusqu’au soir. Vers onze heures du matin, je fais une pause pour aller éditer mes images et les envoyer. Puis je retourne dans la bataille jusqu’à dix-huit environ, quand le soleil couchant donne aux photos des couleurs beaucoup plus chaleureuses.

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Je n’ai jamais faim pendant la journée. Durant tout le festival, les habitants préparent des plats et les servent chaleureusement aux passants. Partout dans la ville, on trouve de petites tables en plastique où est disposée une nourriture délicieuse et gratuite. Tout le monde est libre de se servir.

A de nombreuses reprises, je me fais littéralement enlever par des habitants du quartier qui m’invitent à déjeuner chez eux, me servent des légumes frais, du poulet, des nouilles, des desserts et des boissons. Cette générosité fait partie de la fête et les Birmans sont fiers de cette tradition. C’est très touchant de ressentir toute cette gentillesse.

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Outre son côté festif, le Thingyan a aussi une dimension spirituelle importante. C’est un moment de purification qui accompagne l’entrée dans une nouvelle année. Cet aspect des choses est particulièrement fort alors que la Birmanie émerge de l’oppression, que la liberté triomphe et que le pays se retrouve face à un avenir prometteur.

Et pour moi aussi, le nouvel arrivant en Birmanie, ce festival, c’est un peu ça : un nouveau départ, dans la joie.

(Cet article a été écrit avec Michelle Inaba à Paris et traduit de l’anglais par Roland de Courson).

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Romeo Gacad