Les résistants hutus chassent le rebelle "infiltré"
de l'envoyée spéciale de l'AFP, Annie THOMAS
KIGALI, 13 avr 1994 - Une grenade dans chaque main, un milicien hutu rwandais demande aux rares automobilistes qui ils sont, où ils vont. Il regarde à l'arrière de la voiture. "Nous recherchons les infiltrés du FPR", dit-il. A côté du barrage, sur l'accotement, trois cadavres sont alignés, en plein centre de Kigali.
La résistance hutue s'organise dans la capitale, face à une progression du Front patriotique rwandais dont aucune source indépendante ne peut dire la vitesse et l'ampleur précises.
Des militaires rwandais "forment" ces Hutus, qui marchent lentement dans les rues de Kigali par groupes d'une demi-douzaine. Ils ont des grenades, des Kalachnikovs, des machettes, des arcs et des flèches.
"S'il vous plaît, sauvez-nous, il y a des militaires qui sont en train de passer par-dessus la barrière". Deux jeunes gens sont agrippés au mur d'une propriété, ils sont au fond du jardin et ne savent plus où aller. Ils demandent aux rares étrangers de les prendre sous leur protection.
Aux massacres des premiers jours, qui ont sans doute fait plus de 10.000 morts et provoqué l'exode de milliers d'habitants, a succédé une autre forme de chasse à l'homme, la chasse au rebelle, qui semble tisser peu à peu son réseau dans Kigali, pendant que le bataillon du FPR se bat contre les forces gouvernementales dans des combats à l'arme lourde, sur un front plus net.
Dans certains quartiers, le FPR est du côté d'une rue, les forces régulières de l'autre. Ils échangent des rafales de mitrailleuse, des tirs d'obus de mortier ou d'artillerie.
Des passants en quête de vivres
Les affrontements ont été violents mercredi en tout début de matinée, puis sont devenus des grondements sporadiques, amplifiés par l'écho des collines. Personne ne peut dire si des renforts envoyés par le FPR depuis le nord du pays ont fait la "jonction" avec le bataillon de 600 hommes entré dans la capitale en toute légalité en décembre dernier, aux termes des accords de paix d'Arusha (Tanzanie), signés le 4 août après trois ans d'une guerre civile manifestement inachevée.
Selon un officier de la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR), le FPR a pilonné mercredi matin un camp de gendarmerie du nord de la ville, sans qu'il soit possible de dire s'il avait été pris.
Des tirs à l'arme légère claquent aussi de temps à autre dans le centre ville et vident les rues des rares passants, pour la plupart à la recherche de nourriture.
Le Comité international de la Croix-rouge (CICR) a commencé mercredi à faire des distributions de vivres. Ses camions ont livré quelque 30 tonnes de maïs, farine, haricots, à environ 5.000 personnes. Un convoi du CICR est également arrivé par la route depuis la capitale du Burundi Bujumbura, avec deux équipes chirurgicales, de la Croix-rouge et de Médecins sans Frontières-France, et 25 tonnes de matériel médical.
Le CICR a également ouvert un hôpital dans un bâtiment proche de sa délégation, le Centre hospitalier de Kigali étant situé près d'un camp militaire et plein à craquer.
Le gouvernement a quitté la ville, pour se mettre à l'abri en province. Mais il affirme néanmoins que l'armée a la situation en main. Il a demandé au FPR de conclure une trêve, pendant que les Nations unies continuent de tenter de réconcilier les belligérants.
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