Les destins brisés du 13 novembre
PARIS, 17 novembre 2015 - Ils s’appelaient Bertrand, Chloé, Halima ou Thierry ; ils étaient étudiant, banquier, garagiste ou serveur, la plupart âgés d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années. Tous ont péri lors des attentats à Paris le vendredi 13 novembre ou dans les jours qui ont suivi. Une petite équipe de journalistes de l’AFP spécialement mise en place après la tragédie s’emploie à collecter quelques éléments sur chacune de ces vies fauchées. Le résultat est une base de données interactive («dataviz»), pour ne pas s’arrêter aux bilans chiffrés et donner un visage humain à toutes les victimes.
« C’est un travail très triste», raconte Paul Aubriat, un des membres de cette cellule. « La plupart de ces gens étaient jeunes, bien portants, on sent qu’ils aimaient la vie, aller boire des coups. Beaucoup avaient des enfants. Certains laissent une compagne enceinte… Même sans jamais les avoir connus on finit par se sentir proches. On connaît leurs vies, on retient leurs noms par cœur… C’est devenu encore plus déchirant à partir du lundi, quand beaucoup de disparus ont été retrouvés morts et quand des blessés ont commencé à mourir à l’hôpital ».
Pour trouver les informations sur les personnes décédées, les journalistes sillonnent les réseaux sociaux, notamment les pages Facebook et les comptes Twitter des victimes et de leurs proches. La presse régionale française est également très utile, la plupart des journaux locaux ayant publié des articles sur les disparus originaires de leur région. Les derniers doutes sont levés à l’aide de coups de fil aux employeurs du défunt, à la mairie de sa commune ou autre. Plus rarement à la famille. « Ce n’est pas le moment de les déranger », explique Juliette Michel, une autre journaliste de la cellule. « On essaye d’écrire de petites textes vivants et humains, qui ne ressemblent pas à des rapports de gendarmerie », ajoute Paul Aubriat.
La décision de recueillir des éléments biographiques sur tous les morts du 13 novembre a été prise le surlendemain des attaques. Ce travail de fourmi a mobilisé jusqu’à six journalistes. Il prend la forme d’une longue dépêche actualisée deux ou trois fois par jour sur le fil de l’AFP destiné aux clients français, au fur et à mesure que la liste s'allonge (toutes les victimes n'ont pas encore été identifiées). Pour des raisons juridiques, aucune photo de victime n’a été collectée, la base de données interactive – réalisée par le service Infographie de l’agence – permettant cependant de donner un aspect visuel au résultat final.
Pourquoi faire cela ? « Parce que cela peut être utile à tout le monde, et aussi pour montrer qu’on n’oublie pas les victimes », affirme Juliette Michel. « Qu’il ne s’agit pas seulement de 129 morts mais aussi de gens qui avaient une histoire, une famille, des amis ».
(Texte : Roland de Courson)